Il y a des paysages sages
avec des limites bien dessinées
avec des couleurs franches
des paysages sans problèmes qui font les cartes postales idéales
Il y a des paysages qui ne sont pas sages
qui bougent et s'effacent
qui reviennent et disparaissent
qui jouent avec la lumière et l'horizon
qui troublent nos certitudes et nous déstabilisent
Les paysages de la Côte d'Opale sont de ceux-là
Peu de peintres sont capables de fixer sur une toile ce qui en eux est mouvant et indécis, ce qui se métamorphose et se trouble
Jacques Dourlent est de ceux-là
Il habite ce pays de dunes et d'eau, de sable et de vent
Côte d'Opale la bien nommée
J'ai retrouvé dans ses toiles ce que je ressentais enfant quand je marchais sur ces plages
J'ai senti de nouveau le vent sur ma peau et les aiguilles du sable sur mes jambes
J'ai regardé ce début du monde où chacun est appelé à nommer les éléments pour leur assigner une place éphémère
On entend souffler le vent
On respire l'odeur séminale de la mer
On voit les baches disparaître
Pas un homme
Pas une femme dans le paysage
On est seul
Seul à regarder
Seul à passer
Parfois la nuit vient se mêler au jeu des éléments
Elle ajoute à la confusion
Elle se mêle aux nuages et assombrit le rivage
On reste là, on regarde, on attend
Nos pensées volent dans l'air comme les goélands qu'on entend sans les voir
On entre dans le paysage
On devient paysage
C'est le mystère de cette oeuvre
Elle vous invite à vous y perdre un instant
A trouver un repère, une eau plus claire, un sable plus dur
A délaisser tout ce qui vous encombre
A être démuni et fragile
A vous taire
Aussi étrange que cela puisse paraître, ce qui ressemble le plus au sentiment que j'éprouve devant ces toiles de jacques Dourlent c'est celui qui m'habite quand j'entre dans une cathédrale
Ce monde sans frontières, sans murs, sans toit, sans limite est proche pour moi du silence des cathédrales, des tombées de lumière qui à travers les vitraux font vibrer les grains de poussière
Devant l'immensité de la mer et du ciel on sent la même présence sacrée le même infini qui nous aspire
Toutes les photos des oeuvres du peintre sont empruntées au livre "Lumière Native" (Les Ecrits du Nord.Editions Henry)
Des poèmes de jean Le Boël les accompagnent
Parfois la mer se retire
et nous emporte
ou nous laisse
échouages vagues
coeurs vides
à l'attendre.
Jean Le Boël a su mieux que moi trouver les mots eux-mêmes mêlés de silence et d'étonnements. Je lui laisse le dernier "mot" et la dernière interrogation adressée au peintre :
et pourtant ce ne sont que des traces
huiles grasses et pigments
étalés sur une toile
qui es-tu toi
qui fais de nous
des voyants?