Dans le cimetière Saint-Vincent (division 13) à quelques mètres du mur qui la sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile, une tombe banale laisserait le passant indifférent si n'étaient gravés sur la pierre quelques mots qui intriguent....
Impossible de ne pas chercher à en savoir plus! Qui est cette Ninette Aubart qui après avoir échappé à la catastrophe est venue s'échouer sur la Butte?
C'est à Montmartre, au Lapin Agile, de l'autre côté du mur, qu'elle s'est fait connaître grâce à un physique très parisien, fait de sensualité et de gouaille et une voix spirituelle.
Malgré ses qualités et son talent, elle n'aurait sans doute laissé aucune trace dans la vie montmartroise si elle n'avait embarqué à Cherbourg, le 10 avril 1912 sur le navire dont le nom est resté dans l'histoire.
Elle n'a pas un goût particulier pour la Butte qui à la fin du XIXème siècle est un vaste chantier, entre avenues nouvelles et maquis. Elle préfère habiter dans les beaux quartiers, là où vivent les familles respectables!
C'est à Montmartre pourtant que la chance lui sourit. Elle séduit un Américain fortuné, amoureux de Paris au point d'y avoir acheté un grand appartement et d'y séjourner parfois sous divers prétextes. Il s'agit de Benjamin Guggenheim, homme marié et père de trois filles dont la dernière, Peggy illustrera son nom en devenant une des plus avisées et des plus audacieuses collectionneuses d'art, en même temps qu'un généreux mécène.
Benjamin est à ce point mordu qu'il propose à Ninette de rentrer avec lui aux Etats-Unis. Il a déjà réservé sa cabine sur le Lusitania qui doit quitter Cherbourg au début du mois d'avril 1912
Ninette n'hésite pas un instant et accepte de suivre son amant qui pour lui prouver sa reconnaissance la comble de présents achetés dans les joailleries et les magasins de haute couture.
Dans ses malles, Ninette fait ranger soigneusement par sa femme de chambre, Emma Sägesser, 24 paires de chaussures, 24 robes, plusieurs "jeux" de culottes, des dizaines de pièces de lingerie fine...
Elle n'oublie pas de serrer dans ses coffrets les bijoux offerts par son amant dont les plus beaux sont d'or serti d'émeraudes.
Ninette aime à la folie ces pierres couleur d'eau profonde.
Les bagages sont prêts, la date se rapproche quand par malheur le départ est différé. Le Lusitania connaît des avaries et doit être inspecté et réparé. Le Carminie est prévu pour le remplacer, mais Benjamin Guggenheim préfère réserver sa cabine de 1ère classe et celle de Ninette sur un autre navire dont tout le monde parle et qui s'apprête à faire sa croisière inaugurale, le TITANIC.
Ninette se réjouit de voyager sur le plus beau bateau du monde, en compagnie de la meilleure société.
Elle y embarque avec Emma Sägesser et s'installe dans la luxueuse cabine B-35.
Pas de suspense! On connaît la suite!
Deux jours plus tard, dans la nuit du 14 avril le TITANIC heurte un iceberg. Ninette qui a ressenti la première secousse l'a jugée sans gravité et est retournée se coucher.
Benjamin la réveille et la conduit ainsi que sa femme de chambre jusqu'aux canots de sauvetage, réservés par priorité aux passagers de 1ère. Il assiste à la mise à l'eau du canot n°9 dans lequel elles ont été hissées.
Il revêt ensuite son plus beau costume et participe à l'organisation des secours. Il trouve le temps d'écrire une lettre à sa femme et de la confier à un steward.
Il ne lui raconte pas d'histoire en lui parlant d'amour éternel, il lui dit simplement qu'il espère avoir fait de son mieux en remplissant son devoir.
Ninette qui a tout perdu et qui plus tard dressera la liste de ses bijoux et de ses vêtements en espérant être indemnisée, assiste à la disparition du TITANIC et de l'homme qui devait changer sa vie.
Une fois débarquée aux Etats-Unis, elle n'a plus rien pour survivre. C'est la femme de Benjamin Guggenheim qui lui paye le billet de retour. Sans doute désire-t-elle l'éloigner au plus vite afin d'empêcher que s'ébruite une liaison qui, dans l'Amérique prude de ce temps, aurait porté préjudice à la réputation morale de son mari.
Ninette Aubart, sans ce naufrage, serait restée une illustre inconnue, une maîtresse parmi d'autres dans la liste d'un amateur de femmes.
Rescapée du naufrage, elle a vécu en France une vie banale.
Quelques rares photos nous montrent une femme apparemment sans histoire!
Elle repose aujourd'hui à quelques mètres du cabaret où elle a été chanteuse, très loin de la fosse marine où a été englouti son célèbre amant dans une eau de la couleur des émeraudes qu'il lui avait offertes.