Le cimetière Saint-Vincent est celui du vieux village...
Il en a gardé les proportions modestes et l'aspect tranquille.
Et pourtant!
Il raconte bien des histoires.
Il abrite des Montmartrois qui aimèrent leur village et participèrent à sa célébrité.
Cette première visite en annonce de nombreuses autres.
Elle nous mènera devant les tombes les plus célèbres, celles qui font partie du circuit minimal obligatoire!
C'est en 1831 que le cimetière est créé sur un terrain en friche.
Il est entouré de murs qui subsistent aujourd'hui.
L'entrée était alors située 40 rue Saint-Vincent et non comme aujourd'hui rue Lucien Gaulard à proximité de la place Constantin Pecqueur ...
Une visite rapide nous mènera devant les tombes des "célébrités" locales
Nous aurons le temps (une éternité) de nous recueillir plus tard devant des personnalités moins connues mais qui ont joué un rôle dans l'histoire montmartroise.
Voici par ordre alphabétique les "stars" auxquelles nous rendrons visite dans ce premier article :
Marce Aymé (10ème division)
Harry Baur (9ème)
Eugène Boudin (12ème)
Marcel Carné et Roland Lesaffre (4ème division)
Jules Chéret (5ème)
Dorgelès (13ème)
Dumesnil (8ème division)
Arthur Honnegger (8ème division)
Claude Pinoteau (3ème division)
Steinlen (14ème division)
Utrillo (4ème division)
Marcel Aymé (1902-1967)
Inutile de présenter cet écrivain à part, indépendant, libre de style et d'esprit!
Enfant on a pris plaisir aux Contes du Chat perché, plus tard on a souri avec sa Jument verte et malgré les critiques qui le considéraient comme un petit écrivain douteux, on s'est réjoui de son indépendance et de sa truculence.
N'oublions pas son combat contre la peine de mort (la Tête des autres, mise en scène par Barsaq au théâtre de l'Atelier, de l'autre côté de la Butte)
Le "terrien" attaché à sa Franche-Comté a choisi de vivre à Montmartre.
Il a d'abord habité 9 ter rue Paul Féval, à quelques mètres du cimetière, puis 26 rue Norvins. La rue a changé de nom au niveau du 26 et s'appelle désormais place Marcel Aymé. Une sculpture de Jean Marais représentant l'auteur en passe-muraille veille sur le lieu...
Il se peut que la nuit Marcel Aymé passe à travers le marbre noir de sa tombe pour se balader dans le quartier qu'il aimait!
Marcel Carné (1906-1996). 10ème division. (voir plan)
comment l'imaginer étendu sous ce marbre triste, lui le magicien de la lumière.
Avec Prévert il a réalisé quelques uns des plus beaux films du cinéma français : Drôle de drame, Le Quai des brumes, Hôtel du nord, Le jour se lève... et surtout le chef d'oeuvre absolu et indémodable : Les Enfants du paradis!
Sous le même marbre est enterré Roland Lesaffre (1927-2009) second rôle dans les films de Carné mais premier dans son coeur!
Au point d'être le légataire universel du cinéaste... et de passer la nuit infinie avec lui!
Sous un marbre noir sinistre, repose un acteur dont on imagine mal quelle fut la gloire dans la première moitié du XXème siècle.
Harry Baur (1880-1943) a investi de sa nature sensible et puissante des héros légendaires et populaires comme Jean Valjean ou Vidocq.
Il a tourné dans de nombreux films de metteurs en scène de son époque, Dréville ou Tourneur. Il a incarné Beethoven chez Abel Gance et Volpone (avec Jouvet) chez Tourneur.
La fin de sa vie fut tragique puisque, après avoir tourné (sans état d'âme) en 1942 à Berlin, il fut accusé par la presse française malodorante d'être Juif.
Il s'en défendit mais ne put éviter d'être arrêté et déporté avec sa femme. Après quatre mois d'enquête, les Nazis, convaincus qu'il n'avait pas commis le crime de naître juif, le libérèrent.
Mais l'épreuve avait atteint l'acteur en profondeur et il mourut 4 mois plus tard.
Qu'elle est triste la tombe d'Eugène Boudin (1824-1898)!
Lui, l'homme du grand large, des ciels immenses, des météores.... il est enterré sous une pierre grise, à un endroit que caresse rarement le soleil!
Ce précurseur (involontaire et modeste) de l'Impressionnisme, cet amoureux de la mer (il fut mousse) et des plages immenses, lorsqu'il sentit la mort approcher, demanda qu'on l'emmenât à Deauville pour mourir face à la mer.
C'était par un jour lumineux du mois d'août, le 8. Il y avait des voiles blanches sur la mer et des amoureux sur la plage.
Admiré de Baudelaire, de Zola, inspirateur de Monet... il fait partie de la grande histoire de l'art français.
Quel mystère que ce sombre carré où dort sous la terre celui qui a ouvert tant de fenêtres sur l'espace et le rêve!
Dans la 5ème division un monument plus opulent avec des médaillons de bronze qui pleurent sur la pierre signale la tombe de Jules Chéret.
Jules Chéret (1836-1932) est un peintre connu pour son talent d'affichiste.
Il est un des premiers à avoir transformé un art mineur en art à part entière et il n'est pas étonnant que Toulouse Lautrec l'ait admiré et ait été influencé par lui.
Si on peut voir à Paris ses décors peints pour l'Hôtel de Ville ou pour le théâtre du musée Grévin, ce sont ses affiches qui constituent le meilleur de sa production.
Elles donnent l'image la plus éclatante de le Belle Epoque.
Elles sont "en mouvement" comme celles de Lautrec sans pour autant chercher à aller au-delà de la surface trompeuse des visages.
Lautrec est mouvement et mélancolie.
Chéret est mouvemen et insouciance.
Revenons à la littérature avec Roland Dorgelès (1885-1973) 5ème division.
Si un écrivain est à sa place au coeur de Montmartre, c'est bien lui!
On connaît les blagues qu'il aimait faire avec ses amis de la bohême et notamment la présentation au Salon des Indépendants d'une toile de Boronali peinte par l'âne Lolo, alias Aliboron, dont la queue avait été trempée dans des seaux de peinture! C'était juste de l'autre côté du mur du cimetière, au Lapin Agile!
Il est ami des plus illustres Montmartrois : Carco, Mac Orlan, Utrillo, Max Jacob....
Il a eu plusieurs adresses sur la Butte ou dans le IXème arrondissement : rue Lepic, rue La Bruyère, rue Victor Massé ou rue Camille Tahan, près du cimetière Montmartre.
On lui doit des pages vives et nostalgiques sur notre quartier : "Au beau Temps de la Butte"
"Cet après-midi-là j'étais monté sur la Butte, promenade dont je ne me lasse pas. Parfois, c'est la joie qui m'entraîne, comme si je devais retrouver ma jeunesse là-haut; certains jours, en revanche, ce sont les regrets qui me poussent et je vais à Montmartre comme on se rend au cimetière."
"Les Croix de Bois" sont le plus connu de ses romans, oeuvre composite, kaléidoscope de destins où les hommes tiennent debout grâce à la camaraderie et sont spectateurs de l'horreur, symbolisée par ces croix hâtivement plantées sur les cadavres.
La tombe la plus spectaculaire se signale par un groupe de bronze remarquable en bordure de l'allée d'entrée du cimetière pompeusement appelée "Avenue Caulaincourt".
L'oeuvre du sculpteur Emile Bailly représente un ange qui invite avec tendresse une femme à se laisser prendre par la main et guider vers la lumière. Elle évoque un mouvement de danse.
Elle est à sa place sur la tombe d'un homme, René Dumesnil (1879-1967) qui consacra une partie de sa vie à étudier des oeuvres et des musiciens qu'il aimait.
Il fut aussi un grand spécialiste de Flaubert auquel il consacra plusieurs ouvrages.
Malgré la qualité de son travail, René Dumesnil serait sans doute ignoré de la plupart des visiteurs si le groupe de bronze qui danse sur sa tombe n'attirait leur attention.
On n'enterre pas la musique sous le marbre, fût-il rose!
Arthur Honegger (1892-1955) est joué aujourd'hui dans le monde entier. Sa tombe simple et claire est souvent fleurie par des admirateurs.
L'homme est séduisant, généreux, humaniste. Bien que Suisse, il a adopté Paris, alors que des Parisiens fortunés choisissaient déjà le pays des banques sans morale!
Pendant l'occupation, il choisit de rester à Paris et de résister avec ses moyens, ceux de la musique.
Jeanne d'Arc au bûcher. Ingrid Bergman écrit : " Dans les bras de Honegger, la main sur le coeur de Claudel, où pourrais-je me trouver mieux?"
Parmi ses oeuvres les plus populaires, citons le Roi David (1921), Pacific 231 (1923), Jeanne d'Arc au Bûcher (1938) sur le poème de Claudel.
A Montmartre, il a aimé rencontrer Cocteau, Satie, Picasso...
Le petit cimetière Saint-Vincent se console avec lui de n'avoir pas été choisi par Berlioz qui habitait pourtant à moins de 100 mètres. L'inspiratrice de la Symphonie Fantastique, Harriet Smithson y fut quelque temps inhumée avant que Berlioz ne transférât le corps de celle qui avait été sa femme et la mère de son fils au nouveau cimetière de Montmartre.
Dans la 3ème division, repose depuis deux ans et demi un cinéaste populaire, Claude Pinoteau (1925-2012).
Peut-être aurait-il été plus à sa place au cimetière de Neuilly, ville où il vécut et mourut. Il est vrai qu'il y a peu de cinéastes à Saint-Vincent, à part le génial Carné et Méliès!
(Attention, il ne s'agit pas de Georges Méliès le magicien mais de son frère Gaston, lui même cinéaste aux Etats-Unis!)
Ses films les plus célèbres restent "La Gifle" et "La Boum".
Pas sûr que dans un siècle on en parle encore!
L'ordre alphabétique garde pour la fin deux artistes emblématiques de Montmartre: Steinlen et Utrillo.
La tombe de Steinlen (1859-1923) dans un angle du cimetière est constituée de pierres à peine taillées, posées les unes sur les autres et disloquées par les racines d'un arbuste.
Elle convient à celui qui resta marginal et lutta toute sa vie pour les déshérités, les victimes d'un ordre social inique. Il habitait non loin de là, sur ce qui fut le Maquis et devint la rue Caulaincourt. Son Cat's Cottage était accueillant aux crève-la-faim et aux chats. Des dizaines de chats efflanqués y trouvèrent refuge et inspirèrent à leur bienfaiteur des croquis et des dessins qui restent inégalés.
Personne mieux que Steinlen n'a dessiné les chats! Il n'est pas étonnant qu'au premier rayon de soleil, ils viennent se coucher sur sa tombe!
A tout Seigneur tout honneur... une des plus belles tombes est celle d'Utrillo.
Inutile de présenter notre Montmartrois!
Rappelons qu'il est né rue du Poteau au bas de la Butte et qu'il a vécu longtemps au coeur du vieux village. Il a peint des dizaines de toiles représentant les rues et les places de notre quartier. Selon les périodes, ses oeuvres sont plus ou moins naïves, plus ou moins mélancoliques. Parfois les immeubles forment un décor de théâtre, sans acteurs, d'autres fois de petits personnages passent et disparaissent.
Utrillo n'est pas décoratif, il n'est pas pittoresque et quand il s'inspire des clichés, il donne à voir une ville où la tristesse suinte sur les murs malgré les couleurs. Son oeuvre est comme suspendue entre l'enfance et la mort.
Son monument funéraire est adossé au mur qui le sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile qu'il a souvent fréquenté et peint.