Bonne Année!
Avenue Junot (3). Montmartre. Du 26 à la fin. Clouzot. Lucienne boyer. Nougaro...
Nous arrivons dans la dernière partie de l'avenue, celle qui file après un tournant vers la rue Caulaincourt. Après la villa Léandre, le 26 est une maison originale avec grandes surfaces vitrées.
L'immeuble harmonieux et audacieux a pour architecte Adolphe Thiers (ne pas confondre avec l'autre, le massacreur de 1871!).
Nous aurons l'occasion de le rencontrer plusieurs fois dans l'avenue. Les immeubles les plus intéressants sont ses oeuvres!
Le 28 est de lui!
C'est le seul immeuble, avec la maison d'Adolf Loos à être classé "monument historique". Ce qui est mystérieux, avouons-le! Toutes les réalisations de Thiers devraient l'être!
Il a été construit en 1927 pour le sculpteur Louis Lejeune alors en pleine activité.
Louis Lejeune se double d'un humaniste soucieux d'aider les artistes et il défend le projet de construction sur le maquis de la rue Ordener d'une "Cité" aux loyers modérés réservée aux créateurs.
Nous consacrerons des articles à cette cité : "Montmartre aux artistes"
C'est un endroit exceptionnel dont l'architecte, choisi par Louis Lejeune n'est autre que notre Adolphe Thiers.
Lejeune aurait été heureux d'apprendre que sa maison serait un jour la propriété d'un artiste aux dons multiples, poète, musicien, chanteur, dessinateur... Claude Nougaro!
Nougaro y vécut des années. Il appréciait Montmartre et fréquentait en voisin le Lapin Agile.
Il dut à contrecoeur abandonner son domaine montmartrois quand les créanciers lui tombèrent sur le dos. Le succès foudroyant de Nougayork vint trop tard remettre à flot celui qui des années après sa mort continue de pulser son énergie et sa sensibilité à fleur de peau...
Pour moi, l'avenue Junot c'est l'avenue Nougaro!
Le 36 étonamment moderne avec ses grandes baies vitrées et ses volumes cubistes est encore une réalisation d'Adolphe Thiers, la dernière de l'avenue, hélas
Le 39...encore un numéro qui a son importance dans la riche histoire cinématographique de la Butte.
L'ancien hôtel Alsina servi en effet de décor en 1941 au film de Clouzot "l'assassin habite au 21".
Il fallut bien sûr changer la plaque! L'hôtel devint la pension "les mimosas".
Deux ans plus tôt en 1968, on le reconnait dans le film de Truffaut "Baisers Volés". Antoine Doisnel (Jean-Pierre Léaud) veilleur de nuit y reçoit la visite du détective. Les escaliers qui longent l'hôtel, rue Juste Métivier servent également de décor à une des scènes du film.
Edith (Piaf qui eut plusieurs adresses à Montmartre) y loua une chambre à l'année et c'est là qu'il lui arrivait de recevoir Yves Montand ( mais Chutt!!!! ne jouons pas les colporteurs de ragots!)
Dans le même immeuble mais au 41, une triste vitrine ne peut nous laisser deviner qu'il y eut à cette adresse le cabaret "Chez elle".
Celle qu'on surnommait "la Dame en bleu" ouvrit son établissement avec Van Parys au piano, en 1940, pendant les années noires.
Le cabaret qui se voulait différent des autres et plus intime, une "bonbonnière" disait la dame, portait, apposé sur sa façade un écriteau : "Interdit aux Juifs".
La chose n'était pas rare dans le Paris vichyssois mais elle peut surprendre quand on sait que la "patronne" n'était autre que Lucienne Boyer et qu'un an avant l'ouverture de son cabaret, elle avait épousé Jacques Pills qui était juif.
L'immortelle interprète de "Parlez-moi d'amour" avait-elle voulu par cette ruse détourner l'attention des autorités qui faisaient la chasse aux Juifs et protéger son mari?
C'est ce qu'elle a affirmé après guerre et que nous aimons croire.
Comme l'a cru Guy Gilles qui l'invita dans son film bouleversant "le Clair de Terre" où elle joua son propre rôle de chanteuse.
Les derniers immeubles de la rue ressemblent à ceux de la rue Caulaincourt. Ils ont été élevés dans les mêmes années. Ce sont des constructions de style composite post-hausmannien. Ils n'ont pas l'originalité des maisons art-déco de Thiers.
L'avenue Junot qui avait cédé sa première partie à l'impasse Girardon se rattrape en fin de parcours en ne comptant plus que des numéros pairs jusqu'à la place Constantin Pecqueur.
Arrivé à cet endroit vous pouvez vous intéresser au square Joël Le Tac où est érigé le monument à Steinlen, à la rue Caulaincourt ou à la statue d'Eugène Carrière
Vous n'aurez que l'embarras du choix.. Montmartre a des trésors inépuisables qu'il offre aux promeneurs, aux curieux et aux rêveurs...
Poème. 6 Janvier. Naissance.
Naissance
Il avait neigé sur les arbres noirs
Le gel claquait ses dents d'aciers
Sur les chats qui tentaient de vivre
Si on avait ouvert la fenêtre
L'hiver aurait bondi comme un loup
J'aurais senti sur moi son haleine rouge
Dans ma poitrine l'éclat de sa morsure
Il avait neigé sur les arbres noirs
Les flocons entraînaient les comètes
Qui s'éteignaient sur les pavés
Si on avait ouvert la fenêtre
La nuit les aurait jetées dans la maison
Je les aurais avalées dans mes cris
J'aurais connu le goût du ciel
Il avait neigé sur les arbres noirs
C'était le six janvier dans un album
Où les photos perdent mémoire
On a tranché le lien qui me tenait à elle
On m'a posé humide entre les draps
J'ai remué les bras pour nager vers son ventre
Il faisait si chaud ce jour-là dans la chambre
Qu'un coup de vent soudain
A ouvert la fenêtre
.
Je suis Charlie.
Ils se sont habillés de noir
Pour tuer ceux qui vivaient en couleurs
Ils ont caché leur visage
Pour tuer ceux qui les regardaient en face
Ils ont choisi la violence
pour tuer les hommes de paix
Ils ont choisi la haine
Pour tuer la fraternité
Ont-ils entendu
Dans le bruit et le sang
Leur dieu qui leur criait
"Je suis Charlie"
La Mère Catherine. Le plus vieux "bistro". Légende et réalité.
" La mère Catherine" est une légende et une réalité.
Le restaurant existe bel et bien depuis 1793 (une année de sinistre mémoire!) mais autour de lui sont venues se greffer des histoires à la montmartroise, faites d'exagération ou d'invention pure et simple.
Montmartre et Marseille auraient-ils des points communs?
Revenons aux origines et au n°6 de la Place du Tertre (en réalité rue Norvins qui forme le côté nord de la place).
Avant la Révolution, c'était la rue Trainée, parfois appelé Trenette, allusion à la façon dont on chassait le loup qui au début du XIXème siècle s'aventurait encore sur la Butte.
On traînait sur le sol une charogne que l'on déposait dans un piège. Maître loup par l'odeur alléché suivait la piste et se faisait prendre. La méthode a été abandonnée trop tôt. Elle aurait été fort utile pour piéger les promoteurs qui firent main basse sur Montmartre. Il aurait suffi de traîner sur le sol une bonne liasse de billets de banque.
En 1868 la rue reçut le nom de l'illustrissime jacques Maillet de Montbreton de Norvins (1768-1854) connu pour avoir écrit une Histoire de Napoléon 1er. C'était une manière comme une autre de rappeler au Napoléon n°2, surnommé par Hugo "le petit", qu'il n'arrivait pas à la cheville du 1er!
Les maisons où le restaurant s'est installé sont de vieilles demeures villageoises. Au XIVème siècle à l'époque où Montmartre était loin de Paris, il y avait à l'emplacement du n°6 un presbytère où vivait le curé de l'église voisine qui était placée sous la double protection de Saint-Pierre (partie abbatiale) et Saint-Denis (partie paroissiale).
La Révolution passant par là guillotina quelques abbesses, prit possession des bâtiments dont le presbytère qu'il vendit au plus offrant.
C'est ici qu'apparaît la fameuse mère Catherine. Nous sommes en 1793. Catherine Lamotte qui est alors trop jeune pour mériter le nom qui la rendra célèbre acquiert la maison vendue comme bien national. Elle la transforme en café puis en restaurant.
Elle a le temps de voir s'attabler un client célèbre devant lequel on se tient à carreaux. C'est Danton en personne qui rend visite à son ami Félix Desportes qui habite toujours Montmartre après en avoir été le 1er maire de 1790 à 1792 (en réalité il a succédé à Valeteau révoqué après trois jours!)
Ces amicales visites et ces moments passés chez la mère Catherine faillirent coûter la tête à Desportes lorsque Danton fut condamné pour traîtrise!
En 1814 après la défaite de Napoléon pendant la Bataille de Paris, les Alliés entrent dans la capitale et parmi eux les Cosaques grands amateurs de boissons fortes! Ils occupent la Butte et par la même occasion fréquentent le café de la mère Catherine. Une plaque apposée sur la façade du restaurant proclame haut et fort que c'est là que pressés d'être servis et resservis ils auraient crié de leur belle voix de basse : "Bistro" ce qui dans leur langage signifie "vite".
Le premier bistro de France serait donc né chez la mère Catherine!
Acceptons la légende même si l'apparition attestée du mot date de 1884! Même si les linguistes se disputent pour savoir si le mot vient du provençal "bistroquet" ou du poitevin "bistraud"...
Pour nous Montmartrois qui ne sommes pas à une légende près, le bistro est né chez nous et peu importe la triviale réalité!
Catherine Lamotte, bonne vivante qui aime plaisanter avec ses clients devient vite un personnage haut en couleurs (avant les peintres!) de la Butte. Elle n'hésite pas à boire (modérément) avec les habitués et elle devient naturellement "la mère" des amateurs de piquette.
En 1844, elle a alors 76 ans, elle meurt au combat sans abandonner ses troupes. En effet, alors que l'on est occupé à boire dans les salles du restaurant, elle transporte à la cave une pièce de vin qui la déséquilibre et lui passe sur le corps.
Vérité ou légende? C'est en tout cas ce que l'on dit à Montmartre depuis que la mère Catherine l'a quitté.
Le café-restaurant continua sa carrière malgré le rattachement de Montmartre à Paris (à moins que ce ne fût le contraire) et la perte de l'avantage de la détaxation.
Parmi les successeurs de Catherine Lamotte, on a retenu le nom de "Gros Guillaume". Il s'appelait Guillaume, il était gros et il était auréolé du prestige d'avoir été Garde National en 1870 (ne pas confondre avec Robert Guérin dit "Gros Guillaume", un des plus populaires acteurs français du XVIIème siècle).
Que les amis des animaux lui pardonnent d'avoir, pendant la disette qui suivit la Commune, fait disparaître de Montmartre tous les chiens, tous les chats, tous les rats et souris. Il paraît que sa gibelotte était fameuse et attirait les bourgeois des beaux quartiers!
Au début du XXème siècle le restaurant change de propriétaire. C'est Lemoine (un nom qui sied à un ancien presbytère) qui en prend la direction et gère le bureau de tabac attenant.
Il est connu pour avoir été le 2ème maire de la Commune libre de Montmartre fondée en 1920 par Dépaquit.
Il est aussi connu pour avoir installé dans son bistro un billard en bois, jeu qui était alors très populaire et qui servait d'annonce à la bonne Franquette rue Saint-Rustique.
Guillaume est surnommé le Père la Bille. Il est populaire sur la Butte où il assiste à toutes les festivités. Son surnom lui serait venu de son goût pour le fameux billard...
Hélas le billard ne suffit pas à faire marcher les affaires qui périclitent et à vendre une partie du restaurant, la grande salle, qui devient une boulangerie.
Pendant la guerre, Montmartre est apprécié des Allemands et des collabos. Ils apprécient cabarets et bistros sans oublier celui de la Mère Catherine!
L'établissement changera ensuite de patron. Albert Mériguet et Thérèse jusqu'en 1950 puis Jacques Mériguet jusqu'en 1960... Mais la grande époque est terminée pour Montmartre.
Ni Leprin ni Gen Paul ne sont là pour accrocher leurs toiles dans le bistro de la Mère Catherine, ni Utrillo pour le peindre, ni Léon Bloy pour s'y installer et y écrire.
Le restaurant accueille les touristes à l'heure où sur la place les barbouilleurs barbouillent. La cuisine y est moyenne et sans inventivité, l'accueil y est parfois revêche (les avis sont partagés et ma malheureuse expérience est peut-être accidentelle!)
Son principal atout reste le décor et l'emplacement...
Un Starbuck a ouvert ses portes à quelques mètres...
Souhaitons qu'aucun Père Macdo ne prenne un jour la place de la Mère Catherine!
....Un jour qui sait la Mère Catherine remontera de sa cave, se remettra aux fourneaux et offrira une tournée à tous les amoureux de Montmartre!
En l'attendant.... voici quelques toiles représentant le célèbre restaurant...
Le singe qui lit. Montmartre.Place du Tertre.
Le Singe qui lit fait partie des enseignes montmartroises qui ont survécu à la mutation touristico-immobilière de notre quartier.
Depuis 1908 il y avait à son emplacement, jouxtant le Cadet de Gascogne, une brocante tenue pendant des années par un personnage haut en couleurs comme en suscite souvent la Butte : Emile Boyer.
Emile Boyer (1877-1948) est fils de chiffonnier. Il pratique plusieurs métiers avant de se percher place du Tertre où il gère un bric à brac hétéroclite, à la fois épicerie et brocante! On dit que Gen Paul le chargeait de vendre ses aquarelles qu'il accrochait à l'aide de pinces à linge à un fil suspendu dans la boutique.
On raconte encore qu'Utrillo payait son ardoise de gros rouge avec des toiles que notre brocanteur-épicier collectionnait.
C'est ainsi que le virus pictural qui circule librement par les rues de Montmartre contamine notre homme qui s'achète un chevalet et bien des années avant l'invasion de la place du Tertre par les barbouilleurs, s'installe sur le trottoir devant son échoppe..
Indifférent aux courants nouveaux et aux précurseurs, il peint à sa manière, réaliste et colorée, sans se soucier des modes. Son oeuvre est restée dans l'ombre malgré une exposition en 1973 au musée de Montmartre. Dans les salles de vente, il est possible d'acquérir une de ses toiles pour un millier d'euros.
Un livre lui a été consacré : "Emile Boyer -Années folles-" par Martine et Bertrand Willot.
Voici en quels termes leurs auteurs le présentent :
"brocanteur, anarchiste, fort en gueule, caractériel, marchand de frites et peintre"!
Bref! un homme complet!
...Car... il est le précurseur à Montmartre des "baraques à frites" chères à nos amis nordistes!
Pourquoi la boutique porte-t-elle ce nom : Le Singe qui lit?
Il y aurait eu à Montmartre à la fin du XIXème siècle une revue d'artiste qui s'appelait ainsi. J'en ai cherché la trace et ne l'ai pas trouvée. Aucun document, aucun témoignage... rien ne permet de confirmer cette source!
Un singe en argot est un patron mais aussi un ouvrier typographe, un typo. Or, parmi ses multiples activités, Emile boyer fut ouvrier typographe! Il est plausible et réjouissant de lui accorder la paternité du nom!
Après Emile Boyer, la boutique connaît divers avatars...
Elle s'appelle pompeusement "Relais des Arts" et se spécialise dans la marionnette.
Le Relais disparaît à son tour avec ses petits personnages qui laissent le Singe reprendre possession de sa boutique pour ne plus la lâcher.
Comme à l'époque d'Emile Boyer un joyeux bric à brac s'y installe, une brocante foutraque encombrée d'objets hétéroclites ou incongrus.
... et c'est un autre artiste qui succède à Emile Boyer : Georges Gremillet.
Il fait sa publicité en vendant ses dessins et ses eaux fortes exposés sur les murs et dans la vitrine...
Quand il cède son commerce, c'est la fantaisie et la créativité qui s'en vont avec lui.
Les nouveaux propriétaires en font une boutique de souvenirs made in China, semblable aux dizaines de boutiques qui jalonnent le circuit touristique.
Par chance, ils conservent l'enseigne qui fait aujourd'hui partie du patrimoine montmartrois.
Le singe s'ennuie parmi ces objets de bazar.
Il cherche en vain une librairie où acheter le dernier Modiano ou un kiosque pour se procurer Charlie Hebdo!
Hélas il faut se résigner! La littérature, l'humour et la peinture ont depuis belle lurette déserté notre Butte!
La Folie Sandrin. Montmartre. Rue du Mont Cenis.
La Folie Sandrin!
Qui ne connaît à Montmartre cette imposante construction sise au 22 rue Norvins, tournant fièrement son fronton vers Paris, l'air de dire qu'aucune demeure, aucun hôtel de la capitale ne jouira jamais d'une telle situation ni d'une telle vue?
Les bâtiments dont une partie remonte au XVIIIème siècle se sont d'abord appelés Palais Bellevue. C'est sous ce nom qu'ils deviennent la propriété en 1774 d'Antoine Gabriel Sandrin (parfois orthographié Cendrin).
Notre homme a fait fortune dans la bougie! Il est en effet Maître et marchand chandelier.
La propriété acquise par Sandrin était telle qu'elle avait été édifiée à la fin du XVIIème siècle, un peu austère au goût du chandelier, homme des lumières avant la lettre, qui rasa quelques bâtiments annexes et fit édifier une demeure vaste et claire dans ce village de Montmartre où elle fut appelée aussitôt "Folie Sandrin".
Rappelons s'il en était besoin que la folie n'est pas la maladie que tentera de soigner en ce lieu le célèbre Docteur Blanche, mais une "feuillée" c'est à dire une maison de campagne sous les arbres !
Des rocailles ensauvageaient les jardins et furent à l'origine du nom de maison des rochers que certains Montmartrois donnèrent alors à la folie.
Une description notariale a été rédigée pour la vente de la propriété en 1795 à un marchand de vin (clin d'oeil de l'histoire puisque le réservoir situé devant la folie est devenu le siège de la commanderie pinardière du Clos Montmartre, soucieuse de promouvoir dans l'univers la production des vignes locales).
Elle nous donne une idée de l'opulence de cette demeure qui comportait 24 pièces et était entourée d'un vaste jardin aménagé, à l'arrière, dans le goût anglais.
Le marchand de vins ne fit pas fortune et, en 1805, revendit sa propriété au docteur Prost, aliéniste disciple de Philippe Pinel qui,s'insurgeant contre les traitements inhumains réservés aux "fous" (chaînes, électricité...) prônait un traitement "moral" de la folie. Il importait pour lui de traiter les malades avec bienveillance et compassion, leur parler, vivre avec eux...
Le docteur Prost partageait ses repas avec ses pensionnaires, les écoutait, les traitait avec respect. Il obtint des résultats si encourageants que son établissement devint célèbre.
En 1820 le docteur Prost cèda son établissement qui avait acquis une réputation flatteuse à un autre docteur, Esprit Blanche (1796-1852).
Avec lui, la Folie Sandrin entra dans l'histoire littéraire. Un des plus grands poètes du XIXème siècle, Gérard de Nerval y séjourna en effet
Il la décrivit dans "La Bohême Galante" comme une "villa fashionable et même aristocratique"!
C'est en 1841 qu'il est accueilli à la Folie Sandrin. La maison lui paraît luxueuse, en contraste total avec les asiles d'aliénés où les malades sont à peine mieux traités que des animaux. Les tarifs sont si élevés que le poète n'aurait jamais pu y payer sa pension si la générosité du docteur Blanche n'avait acccordé la gratuité aux artistes.
Nerval est atteint de psychose maniaco-dépressive doublée de schizophrénie, une maladie que l'on traite aujourd'hui par la chimie. Le docteur Blanche le juge incurable.
Nerval apprécie le calme et le charme de Montmartre au point qu'il choisira d'y séjourner en 1846, au Château de Brouillards.
Quand il subira sa grande crise en 1853-1854, il retrouvera le docteur Blanche.
Mais la maison de soins aura déménagé à Passy et le docteur Blanche ne se prénommera plus Esprit mais Emile (fils du précédent).
C'est pendant ce dernier séjour qui précèdera sa mort qu'il écrira Aurélia où rêve et réalité se mêlent, où sont percées les "portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible".
Parmi les pensionnaires célèbres du docteur Blanche à Montmartre, on trouve Jacques Arago (1890-1854)
Frère de Jean et de François (le plus célèbre des trois) il est à la fois écrivain et explorateur. Il rapporte de ses voyages de nombreux croquis.
C'est lui qui nous laisse dans son ouvrage "Paris ou le livre des cent et un" la description la plus complète du docteur Blanche, de sa femme et de la "maison de fous" comme il l'appelle :
Au haut de la butte Montmartre, sur un tertre dominé par les bras gigantesques de plusieurs moulins à vent, est un édifice irrégulier de quelque apparence, dont la façade blanche, assez élégante, appelle les regards des curieux (...)
Le derrière de la maison donne sur un jardin à l’anglaise, petit, mais agréable. Les malades, les idiots, les fous, s’y promènent à volonté ; ceux dont la folie est dangereuse sont séparés des autres par une haute palissade de planches, qu’ils ne peuvent ni franchir, ni abattre. D’un côté la douleur, de l’autre le désespoir (...)
Un autre pensionnaire célèbre fut Claude Barizain (1783-1843) acteur du théâtre Français connu sous le nom de Monrose.
Il était spécialisé dans les rôles impertinents de valets, tels Scapin, Crispin ou Sganarelle. Spirituel et primesautier sur scène, il était dans la vie d'une grande mélancolie. Une "mélancolie incurable" diagnostiquera le docteur Blanche.
Quand sa femme meurt en 1841, il reste prostré, frappé d'amnésie. Il est conduit en 1842 dans la maison de Montmartre.
En janvier 1843, le docteur Blanche l'accompagne au théâtre où devant son public, Monrose, retrouvant soudain la mémoire, joue sans une faute le rôle de Figaro dans le Barbier de Séville. Il connaît un immense et ultime succès dû à sa performance et à l'émotion de ses admirateurs qui savaient qu'ils assistaient à un adieu.
Trois mois et demi plus tard, Monrose meurt dans son refuge montmartrois. Il est enterré au cimetière Montmartre.
Parmi les hôtes célèbres de la Maison Blanche, mention doit être faite d'une grande amoureuse : Emilie de Lavalette (nièce de Joséphine de Beauharnais, 1781-1855)
En 1815, pendant la "Terreur Blanche", son mari, Antoine de Lavalette, ancien aide de camp de Napoléon, est arrêté et condamné à mort. Emilie se rend avec sa fille à la Conciergerie où il est incarcéré. Après avoir dit adieu à son mari elle quitte la prison. On découvrira, trop tard pour le rattraper, qu'Antoine est ressorti déguisé en femme avec sa fille tandis qu'Emilie prenait sa place dans sa cellule!
Après des mois d'emprisonnement éprouvant où elle est traitée sans ménagement, Emilie a recours aux soins du docteur Blanche qui dans un premier temps la remet d'aplomb. Mais après la mort de sa fille, sa raison défaille de nouveau. Elle ne reconnaîtra pas son mari revenu d'exil.
Après le départ du docteur Blanche, sa maison connaît divers avatars.
Elle devient jusqu'en 1875 une institution de demoiselles de bonne famille, sous la houlette d'une certaine veuve Mathieu.
La veuve disparue, une fabrique de broderies avec de jolies brodeuses style Mimi Pinson, occupa les lieux. Elle appartenait à un Monsieur Gilbert dont je n'ai trouvé aucune trace!
La fabrique fait faillite. Un institut normal de jeunes filles prend possession des lieux dans les décennies 1950 et 60.
Hélène, une Montmartroise qui y fut élève se rappelle son école :
"J'ai été élève au Cours Normal de Montmartre dans les années 58-60. J'en ai gardé le souvenir de bâtiments vétustes (le plafond de la salle de classe menaçait de s'effondrer!) et d'un immense jardin où nous faisions la gym et allions en récré.
Le jardin était boisé et mal et moins bien entretenu mais il avait plus de charme."
...et puis Montmartre devient la proie des promoteurs aux longues dents. La folie est rachetée, restructurée, modernisée et vendue en appartements de luxe!
Respectons l'anonymat de ses heureux habitants.
Parmi ceux qui après y avoir vécu ont quitté à tout jamais la Butte, retenons le plus flamboyant d'entre eux, Jean Marais, qui partageait sa vie entre Vallauris et Montmartre!
La propriété se protège derrière ses grilles et ses murs.
Le prix du m2 peut y flirter avec les 22 000 euros.
Le bon docteur Blanche n'aurait plus les moyens d'y installer sa maison de soins et Nerval irait se pendre ailleurs!
Cimetière Montmartre. Dalida.
Une des tombes les plus visitées du cimetière Montmartre est celle de Dalida. Vous la trouverez facilement. A l'entrée du cimetière, vous prenez le premier escalier sur votre droite et arrivez sur le chemin des Gardes que vous suivez jusqu'au bout, là où s'arrête la ville des morts et commence celle des vivants...
Elle est toujours fleurie et toujours entourée de visiteurs au visage grave, impressionnés par la statue élégante et un peu raide, par le visage triste aux yeux baissés.
Ce n'est pas le corps dansant, le corps de paillettes et de vie... Ce n'est pas le visage ouvert, curieux de tout, attentif...
Le sculpteur, Alain Aslan, celui qui créa le buste de Marianne sous les traits de Brigitte Bardot, s'est voulu réaliste. Il a donné à la statue la taille réelle de Dalida. Etrangement, elle paraît trop petite. Dalida était plus grande qu'elle-même. Les projecteurs, la magie de la scène, la légende lui assuraient une stature que le sculpteur n'a pas su restituer.
Et c'est peut-être ce qui rend un peu plus tristes les admirateurs de Dalida. Cette image figée et banale de celle qui n'était que mouvement, interrogation, recherche et fantaisie...
La raideur, le soleil, le corps en marche évoquent les statues égyptiennes sans en exprimer le sacré...
Un grand soleil lui sert d'auréole. La statue est tournée vers l'Est, vers le soleil levant et vers la Butte Montmartre, du côté de la rue d'Orchampt et la maison où dans la nuit du 2 au 3 mai 1987, Dalida décida d'en finir avec ses tourments et ses angoisses.
Pas de cinéma, pas de grande phrase pour la postérité... Elle ne laissa que quelques mots écrits d'une main fiévreuse : "La vie m'est insupportable. Pardonnez-moi."
Le 7 mai, après la messe à l'Eglise de la Madeleine, la foule l'accompagna jusqu'ici.
Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, chantèrent pour elle Ciao,ciao Bambina...
Et la dalle de marbre noir se referma...
Lien : Dalida à Montmartre.
Liens cimetière : Cimetière Montmartre. Classement alphabétique. Calvaire et Saint-Vincent.
...
Chaque fois que je me rends au cimetière Montmartre, si près des vivants et des quartiers animés entre Abbesses et place Clichy, je passe devant la tombe de Dalida.
Quelques photos prises le 5 février 2015.... Il fait si froid... mais le soleil rayonne sur le marbre noir.
Fred Chichin. Tombe. Cimetière Montmartre.
Alors nul doute qu'il y est allé, Fred, sur son étoile. Nul doute qu'il y gratte et qu'il se penche pour éclairer de son sourire le chemin de Catherine et Thomas...
Alors quand le lourd monument de pierre a été posé plus tard sur la tombe, il n'a pas pesé sur lui, parce qu'il n'y était plus!
Visite à Fred, le 5 février 2015. La guitare peu à peu se dégrade... Une étoile d'ardoise porte le nom des Rita Mitsouko....
Et, un petit écran s'allume et s'éteint sur la pierre tombale. Il porte le nom de Frédéric et il bat comme un coeur vivant.
Un petit signe de Fred....
Nicole, ma femme est assise dans le métro ligne 4. Elle lève les yeux sur sa voisine au moment où elle se lève. C'est Catherine Ringer!
Nicole veut lui dire quelques mots mais elle est si émue qu'elle prononce : "Je vous aime"
Catherine est déjà descendue, station Châtelet. Elle se retourne et au moment où les portes se referment, elle envoie à Nicole un baiser qu'elle souffle sur sa main.
Guy Pitchal. Cimetière de Montmartre. Dalida.
Dans l'allée très fréquentée du cimetière Montmartre qui mène à la tombe la plus visitée, celle de Dalida, se trouve une tombe étrange....
Il s'agit de la tombe du psychanalyste et endocrinologue Guy Pitchal.
La stèle porte ces mots : "Le docteur Guy Pitchal nous a quittés le 26 février 1989"
L'homme ne serait pas connu s'il ne s'était frotté à la célébrité de ses patients et patientes, vedettes en souffrance.
Sa voisine de cimetière, Dalida, fit appel à lui dans une période particulièrement tragique de sa vie. Si l'on en croit Jacqueline Pitchal, femme du psychanalyste, après quelques consultations, Dalida s'est trouvé "une famille de substitution". Un lien "fraternel" d'amitié "indéfectible" aurait uni les Pitchal et la chanteuse.
Un lien qui ne fut pas suffisant cependant pour écarter les démons et tenir à distance la mort!
Est-ce pour plaisanter, pour se moquer de la mort psycho-rigide que le praticien a choisi pour monument funéraire une statue en trompe l'oeil, dont le visage sculpté en creux suit du regard, un sourire aux lèvres, le passant étonné?
L'air de lui dire :
Ceci n'est pas une pipe !
Cimetière Saint-Vincent. Montmartre. (1). Les "célébrités"- Marcel Aymé-Harry Baur-Eugène Boudin-Marcel Carné et Roland Lesaffre-Jules Chéret-Dorgelès-Dumesnil-Arthur Honegger-Steinlen-Utrillo.
Le cimetière Saint-Vincent est celui du vieux village...
Il en a gardé les proportions modestes et l'aspect tranquille.
Et pourtant!
Il raconte bien des histoires.
Il abrite des Montmartrois qui aimèrent leur village et participèrent à sa célébrité.
Cette première visite en annonce de nombreuses autres.
Elle nous mènera devant les tombes les plus célèbres, celles qui font partie du circuit minimal obligatoire!
C'est en 1831 que le cimetière est créé sur un terrain en friche.
Il est entouré de murs qui subsistent aujourd'hui.
L'entrée était alors située 40 rue Saint-Vincent et non comme aujourd'hui rue Lucien Gaulard à proximité de la place Constantin Pecqueur ...
Une visite rapide nous mènera devant les tombes des "célébrités" locales
Nous aurons le temps (une éternité) de nous recueillir plus tard devant des personnalités moins connues mais qui ont joué un rôle dans l'histoire montmartroise.
Voici par ordre alphabétique les "stars" auxquelles nous rendrons visite dans ce premier article :
Marce Aymé (10ème division)
Harry Baur (9ème)
Eugène Boudin (12ème)
Marcel Carné et Roland Lesaffre (4ème division)
Jules Chéret (5ème)
Dorgelès (13ème)
Dumesnil (8ème division)
Arthur Honnegger (8ème division)
Claude Pinoteau (3ème division)
Steinlen (14ème division)
Utrillo (4ème division)
Marcel Aymé (1902-1967)
Inutile de présenter cet écrivain à part, indépendant, libre de style et d'esprit!
Enfant on a pris plaisir aux Contes du Chat perché, plus tard on a souri avec sa Jument verte et malgré les critiques qui le considéraient comme un petit écrivain douteux, on s'est réjoui de son indépendance et de sa truculence.
N'oublions pas son combat contre la peine de mort (la Tête des autres, mise en scène par Barsaq au théâtre de l'Atelier, de l'autre côté de la Butte)
Le "terrien" attaché à sa Franche-Comté a choisi de vivre à Montmartre.
Il a d'abord habité 9 ter rue Paul Féval, à quelques mètres du cimetière, puis 26 rue Norvins. La rue a changé de nom au niveau du 26 et s'appelle désormais place Marcel Aymé. Une sculpture de Jean Marais représentant l'auteur en passe-muraille veille sur le lieu...
Il se peut que la nuit Marcel Aymé passe à travers le marbre noir de sa tombe pour se balader dans le quartier qu'il aimait!
Marcel Carné (1906-1996). 10ème division. (voir plan)
comment l'imaginer étendu sous ce marbre triste, lui le magicien de la lumière.
Avec Prévert il a réalisé quelques uns des plus beaux films du cinéma français : Drôle de drame, Le Quai des brumes, Hôtel du nord, Le jour se lève... et surtout le chef d'oeuvre absolu et indémodable : Les Enfants du paradis!
Sous le même marbre est enterré Roland Lesaffre (1927-2009) second rôle dans les films de Carné mais premier dans son coeur!
Au point d'être le légataire universel du cinéaste... et de passer la nuit infinie avec lui!
Sous un marbre noir sinistre, repose un acteur dont on imagine mal quelle fut la gloire dans la première moitié du XXème siècle.
Harry Baur (1880-1943) a investi de sa nature sensible et puissante des héros légendaires et populaires comme Jean Valjean ou Vidocq.
Il a tourné dans de nombreux films de metteurs en scène de son époque, Dréville ou Tourneur. Il a incarné Beethoven chez Abel Gance et Volpone (avec Jouvet) chez Tourneur.
La fin de sa vie fut tragique puisque, après avoir tourné (sans état d'âme) en 1942 à Berlin, il fut accusé par la presse française malodorante d'être Juif.
Il s'en défendit mais ne put éviter d'être arrêté et déporté avec sa femme. Après quatre mois d'enquête, les Nazis, convaincus qu'il n'avait pas commis le crime de naître juif, le libérèrent.
Mais l'épreuve avait atteint l'acteur en profondeur et il mourut 4 mois plus tard.
Qu'elle est triste la tombe d'Eugène Boudin (1824-1898)!
Lui, l'homme du grand large, des ciels immenses, des météores.... il est enterré sous une pierre grise, à un endroit que caresse rarement le soleil!
Ce précurseur (involontaire et modeste) de l'Impressionnisme, cet amoureux de la mer (il fut mousse) et des plages immenses, lorsqu'il sentit la mort approcher, demanda qu'on l'emmenât à Deauville pour mourir face à la mer.
C'était par un jour lumineux du mois d'août, le 8. Il y avait des voiles blanches sur la mer et des amoureux sur la plage.
Admiré de Baudelaire, de Zola, inspirateur de Monet... il fait partie de la grande histoire de l'art français.
Quel mystère que ce sombre carré où dort sous la terre celui qui a ouvert tant de fenêtres sur l'espace et le rêve!
Dans la 5ème division un monument plus opulent avec des médaillons de bronze qui pleurent sur la pierre signale la tombe de Jules Chéret.
Jules Chéret (1836-1932) est un peintre connu pour son talent d'affichiste.
Il est un des premiers à avoir transformé un art mineur en art à part entière et il n'est pas étonnant que Toulouse Lautrec l'ait admiré et ait été influencé par lui.
Si on peut voir à Paris ses décors peints pour l'Hôtel de Ville ou pour le théâtre du musée Grévin, ce sont ses affiches qui constituent le meilleur de sa production.
Elles donnent l'image la plus éclatante de le Belle Epoque.
Elles sont "en mouvement" comme celles de Lautrec sans pour autant chercher à aller au-delà de la surface trompeuse des visages.
Lautrec est mouvement et mélancolie.
Chéret est mouvemen et insouciance.
Revenons à la littérature avec Roland Dorgelès (1885-1973) 5ème division.
Si un écrivain est à sa place au coeur de Montmartre, c'est bien lui!
On connaît les blagues qu'il aimait faire avec ses amis de la bohême et notamment la présentation au Salon des Indépendants d'une toile de Boronali peinte par l'âne Lolo, alias Aliboron, dont la queue avait été trempée dans des seaux de peinture! C'était juste de l'autre côté du mur du cimetière, au Lapin Agile!
Il est ami des plus illustres Montmartrois : Carco, Mac Orlan, Utrillo, Max Jacob....
Il a eu plusieurs adresses sur la Butte ou dans le IXème arrondissement : rue Lepic, rue La Bruyère, rue Victor Massé ou rue Camille Tahan, près du cimetière Montmartre.
On lui doit des pages vives et nostalgiques sur notre quartier : "Au beau Temps de la Butte"
"Cet après-midi-là j'étais monté sur la Butte, promenade dont je ne me lasse pas. Parfois, c'est la joie qui m'entraîne, comme si je devais retrouver ma jeunesse là-haut; certains jours, en revanche, ce sont les regrets qui me poussent et je vais à Montmartre comme on se rend au cimetière."
"Les Croix de Bois" sont le plus connu de ses romans, oeuvre composite, kaléidoscope de destins où les hommes tiennent debout grâce à la camaraderie et sont spectateurs de l'horreur, symbolisée par ces croix hâtivement plantées sur les cadavres.
La tombe la plus spectaculaire se signale par un groupe de bronze remarquable en bordure de l'allée d'entrée du cimetière pompeusement appelée "Avenue Caulaincourt".
L'oeuvre du sculpteur Emile Bailly représente un ange qui invite avec tendresse une femme à se laisser prendre par la main et guider vers la lumière. Elle évoque un mouvement de danse.
Elle est à sa place sur la tombe d'un homme, René Dumesnil (1879-1967) qui consacra une partie de sa vie à étudier des oeuvres et des musiciens qu'il aimait.
Il fut aussi un grand spécialiste de Flaubert auquel il consacra plusieurs ouvrages.
Malgré la qualité de son travail, René Dumesnil serait sans doute ignoré de la plupart des visiteurs si le groupe de bronze qui danse sur sa tombe n'attirait leur attention.
On n'enterre pas la musique sous le marbre, fût-il rose!
Arthur Honegger (1892-1955) est joué aujourd'hui dans le monde entier. Sa tombe simple et claire est souvent fleurie par des admirateurs.
L'homme est séduisant, généreux, humaniste. Bien que Suisse, il a adopté Paris, alors que des Parisiens fortunés choisissaient déjà le pays des banques sans morale!
Pendant l'occupation, il choisit de rester à Paris et de résister avec ses moyens, ceux de la musique.
Jeanne d'Arc au bûcher. Ingrid Bergman écrit : " Dans les bras de Honegger, la main sur le coeur de Claudel, où pourrais-je me trouver mieux?"
Parmi ses oeuvres les plus populaires, citons le Roi David (1921), Pacific 231 (1923), Jeanne d'Arc au Bûcher (1938) sur le poème de Claudel.
A Montmartre, il a aimé rencontrer Cocteau, Satie, Picasso...
Le petit cimetière Saint-Vincent se console avec lui de n'avoir pas été choisi par Berlioz qui habitait pourtant à moins de 100 mètres. L'inspiratrice de la Symphonie Fantastique, Harriet Smithson y fut quelque temps inhumée avant que Berlioz ne transférât le corps de celle qui avait été sa femme et la mère de son fils au nouveau cimetière de Montmartre.
Dans la 3ème division, repose depuis deux ans et demi un cinéaste populaire, Claude Pinoteau (1925-2012).
Peut-être aurait-il été plus à sa place au cimetière de Neuilly, ville où il vécut et mourut. Il est vrai qu'il y a peu de cinéastes à Saint-Vincent, à part le génial Carné et Méliès!
(Attention, il ne s'agit pas de Georges Méliès le magicien mais de son frère Gaston, lui même cinéaste aux Etats-Unis!)
Ses films les plus célèbres restent "La Gifle" et "La Boum".
Pas sûr que dans un siècle on en parle encore!
L'ordre alphabétique garde pour la fin deux artistes emblématiques de Montmartre: Steinlen et Utrillo.
La tombe de Steinlen (1859-1923) dans un angle du cimetière est constituée de pierres à peine taillées, posées les unes sur les autres et disloquées par les racines d'un arbuste.
Elle convient à celui qui resta marginal et lutta toute sa vie pour les déshérités, les victimes d'un ordre social inique. Il habitait non loin de là, sur ce qui fut le Maquis et devint la rue Caulaincourt. Son Cat's Cottage était accueillant aux crève-la-faim et aux chats. Des dizaines de chats efflanqués y trouvèrent refuge et inspirèrent à leur bienfaiteur des croquis et des dessins qui restent inégalés.
Personne mieux que Steinlen n'a dessiné les chats! Il n'est pas étonnant qu'au premier rayon de soleil, ils viennent se coucher sur sa tombe!
A tout Seigneur tout honneur... une des plus belles tombes est celle d'Utrillo.
Inutile de présenter notre Montmartrois!
Rappelons qu'il est né rue du Poteau au bas de la Butte et qu'il a vécu longtemps au coeur du vieux village. Il a peint des dizaines de toiles représentant les rues et les places de notre quartier. Selon les périodes, ses oeuvres sont plus ou moins naïves, plus ou moins mélancoliques. Parfois les immeubles forment un décor de théâtre, sans acteurs, d'autres fois de petits personnages passent et disparaissent.
Utrillo n'est pas décoratif, il n'est pas pittoresque et quand il s'inspire des clichés, il donne à voir une ville où la tristesse suinte sur les murs malgré les couleurs. Son oeuvre est comme suspendue entre l'enfance et la mort.
Son monument funéraire est adossé au mur qui le sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile qu'il a souvent fréquenté et peint.
Le Titanic.Ninette Aubart. Montmartre. Cimetière Saint-Vincent.
Dans le cimetière Saint-Vincent (division 13) à quelques mètres du mur qui la sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile, une tombe banale laisserait le passant indifférent si n'étaient gravés sur la pierre quelques mots qui intriguent....
Impossible de ne pas chercher à en savoir plus! Qui est cette Ninette Aubart qui après avoir échappé à la catastrophe est venue s'échouer sur la Butte?
C'est à Montmartre, au Lapin Agile, de l'autre côté du mur, qu'elle s'est fait connaître grâce à un physique très parisien, fait de sensualité et de gouaille et une voix spirituelle.
Malgré ses qualités et son talent, elle n'aurait sans doute laissé aucune trace dans la vie montmartroise si elle n'avait embarqué à Cherbourg, le 10 avril 1912 sur le navire dont le nom est resté dans l'histoire.
Elle n'a pas un goût particulier pour la Butte qui à la fin du XIXème siècle est un vaste chantier, entre avenues nouvelles et maquis. Elle préfère habiter dans les beaux quartiers, là où vivent les familles respectables!
C'est à Montmartre pourtant que la chance lui sourit. Elle séduit un Américain fortuné, amoureux de Paris au point d'y avoir acheté un grand appartement et d'y séjourner parfois sous divers prétextes. Il s'agit de Benjamin Guggenheim, homme marié et père de trois filles dont la dernière, Peggy illustrera son nom en devenant une des plus avisées et des plus audacieuses collectionneuses d'art, en même temps qu'un généreux mécène.
Benjamin est à ce point mordu qu'il propose à Ninette de rentrer avec lui aux Etats-Unis. Il a déjà réservé sa cabine sur le Lusitania qui doit quitter Cherbourg au début du mois d'avril 1912
Ninette n'hésite pas un instant et accepte de suivre son amant qui pour lui prouver sa reconnaissance la comble de présents achetés dans les joailleries et les magasins de haute couture.
Dans ses malles, Ninette fait ranger soigneusement par sa femme de chambre, Emma Sägesser, 24 paires de chaussures, 24 robes, plusieurs "jeux" de culottes, des dizaines de pièces de lingerie fine...
Elle n'oublie pas de serrer dans ses coffrets les bijoux offerts par son amant dont les plus beaux sont d'or serti d'émeraudes.
Ninette aime à la folie ces pierres couleur d'eau profonde.
Les bagages sont prêts, la date se rapproche quand par malheur le départ est différé. Le Lusitania connaît des avaries et doit être inspecté et réparé. Le Carminie est prévu pour le remplacer, mais Benjamin Guggenheim préfère réserver sa cabine de 1ère classe et celle de Ninette sur un autre navire dont tout le monde parle et qui s'apprête à faire sa croisière inaugurale, le TITANIC.
Ninette se réjouit de voyager sur le plus beau bateau du monde, en compagnie de la meilleure société.
Elle y embarque avec Emma Sägesser et s'installe dans la luxueuse cabine B-35.
Pas de suspense! On connaît la suite!
Deux jours plus tard, dans la nuit du 14 avril le TITANIC heurte un iceberg. Ninette qui a ressenti la première secousse l'a jugée sans gravité et est retournée se coucher.
Benjamin la réveille et la conduit ainsi que sa femme de chambre jusqu'aux canots de sauvetage, réservés par priorité aux passagers de 1ère. Il assiste à la mise à l'eau du canot n°9 dans lequel elles ont été hissées.
Il revêt ensuite son plus beau costume et participe à l'organisation des secours. Il trouve le temps d'écrire une lettre à sa femme et de la confier à un steward.
Il ne lui raconte pas d'histoire en lui parlant d'amour éternel, il lui dit simplement qu'il espère avoir fait de son mieux en remplissant son devoir.
Ninette qui a tout perdu et qui plus tard dressera la liste de ses bijoux et de ses vêtements en espérant être indemnisée, assiste à la disparition du TITANIC et de l'homme qui devait changer sa vie.
Une fois débarquée aux Etats-Unis, elle n'a plus rien pour survivre. C'est la femme de Benjamin Guggenheim qui lui paye le billet de retour. Sans doute désire-t-elle l'éloigner au plus vite afin d'empêcher que s'ébruite une liaison qui, dans l'Amérique prude de ce temps, aurait porté préjudice à la réputation morale de son mari.
Ninette Aubart, sans ce naufrage, serait restée une illustre inconnue, une maîtresse parmi d'autres dans la liste d'un amateur de femmes.
Rescapée du naufrage, elle a vécu en France une vie banale.
Quelques rares photos nous montrent une femme apparemment sans histoire!
Elle repose aujourd'hui à quelques mètres du cabaret où elle a été chanteuse, très loin de la fosse marine où a été englouti son célèbre amant dans une eau de la couleur des émeraudes qu'il lui avait offertes.
Rue Utrillo. Rue Muller. François Gabriel. Photos d'un enfant de 1920 à 1932.
Inutile de présenter François Gabriel (1883-1964) le "Roi des Photographes de la Butte Sacrée" comme le proclame l'enseigne peinte par Matho qui était accrochée sur la façade de l'immeuble du 36 rue Muller (aujourd'hui 2 rue Utrillo) où le photographe avait sa boutique, son labo et son appartement.
Pendant plus de 50 ans il a photographié le même escalier avec les promeneurs, les habitants du quartier, les visiteurs qui redescendaient du Sacré-Coeur.
On voit sur ses clichés passer les années, changer les modes vestimentaires, sourire pour les amis ou la famille tant et tant de passants aujourd'hui disparus.
Le jour où je serai maire de Montmartre, je veillerai à ce qu'une rue porte son nom ! Il est une partie de la mémoire de notre quartier et il a un nom d'archange!
Un garçon habitait 36 rue Muller. Il n'avait que quelques mètres à parcourir pour retrouver les escaliers et le square Saint-Pierre avec ses buissons, ses ponts rustiques, son cours d'eau et ses fontaines, domaine enchanté...
Le voici en 1920. Il a trois ans. Il est au premier plan dans le groupe d'enfants devant le réverbère. c'est lui qui lève le museau, à droite vers des copains plus grands que lui.
Poulbot qui passait par là n'a pu manquer de le remarquer!
En 1921 l'enfant a grandi!
Il est connu dans le quartier. Il s'appelle Charles comme son oncle mort à la guerre de 14. Son père a eu plus de chance, il en est revenu après avoir contribué à sauver des vies comme infirmier. Il n'y a que trois ans que la guerre est finie! Combien de passantes, vêtues de noir, portent alors le deuil d'un époux, d'un frère ou d'un fils!
Charles est encore un "petit".
Il est à la place d'honneur, au centre de la photo devant le réverbère inamovible.
Les années passent. Les photos des années 22 et 23 ont disparu. Peut-être en retrouvera t-on au hasard des brocantes ou des ventes sur des sites spécialisés.
Ici nous sommes en 1924. L'enfant est devenu un gars de la Butte, avec gouaille et casquette. Il n'est plus au premier rang avec les petits. Il les domine d'une bonne casquette, le coude appuyé contre le réverbère.
C'est la plus belle brochette de poulbots dont on puisse rêver!
Deux ans plus tard, Charles ne se mêle plus aux petits! Il est plus haut sur les marches avec un camarade de butte. Il porte un béret bien enfoncé sur la tête.
Les deux gamins saluent le photographe, pressés d'en finir et de retourner à leurs activités!
La même année 1926, Charles a changé de tenue.
Il a revêtu un costume marin.
Il est si beau dans ses nouveaux habits que le photographe le place de nouveau au premier plan.
Bien campé sur ses jambes, les mains dans les poches, il est prêt à prendre la mer!
Trois ans plus tard le marin a retrouvé son béret!
Nous sommes en 1929, l'année du krach de Wall Street mais que New-York est loin de la Butte!
1930. Il a plu sur les marches. Charles se prend à rêver qu'il est dans la jungle! Le réverbère est un cocotier.
Quelques mois plus tard, on retrouve Charles devant l'escalier
Il a grandi. Il ne porte plus le béret enfoncé comme un casque sur la tête mais il l'arrange avec coquetterie!
Il tient par les pattes un petit chien qui regarde comme lui vers l'objectif et le petit oiseau qui va sortir!
La dernière photo de Charles rue Muller date de 1932. Il a presque 16 ans. Il n'a plus l'âge de jouer dans le square avec les petits poulbots.
Il est devenu un jeune homme à qui les lunettes donnent un air sérieux.
C'est la dernière photo retrouvée où on voie encore Charles dans les escaliers. Les clichés des années suivantes se sont perdus ou peut-être le garçon devenu un homme n'aimait-il plus se faire photographier dans les escaliers de son enfance...
Vous avez deviné son nom....
Il s'appelait Charles Gabriel, fils de François Gabriel
Il était prince
Il était fils du Roi des Photographes de la Butte Sacrée!
Un jour de 1959, le roi quitta son royaume après 56 ans de règne. Il descendit les marches pour aller vivre plus bas, rue du Baigneur. C'est là qu'il mourut 5 ans plus tard en laissant à des milliers de gens qu'il avait photographiés un éclat d'éternité!
Liens : François Gabriel.
François Gabriel, le chien de la rue Muller
François Gabriel. Le réverbère de la rue Muller
La rue Utrillo (ancienne rue Muller)
Liens : Montmartre
Montmartre. Artistes, personnalités.
(Merci à Hélène, fille de Charles, Montmartroise de souvenirs et de coeur, pour ces documents et pour la passion que je lui dois pour les photos de son grand-père François Gabriel)
Poème pour l'anniversaire de Nicole. 7 mars.
7 mars
Tu les attends à chaque anniversaire
Les mots d'amour
Les mots de sang dans les artères
Comme un tambour
Je les ai recherchés pour toi
Dans notre histoire
Je me suis égaré parfois
Dans ma mémoire
Les saisons de pluie ont lavé
Les murs de mai
Les soleils ont bu l'encre noire
De mes grimoires
C'est en te regardant sourire
Que j'ai compris
Où étaient les mots du désir
Et de la vie
Dans tes yeux
Je les ai trouvés
Les mots rêvés
Les mots pour écrire un poème
Qui dit je t'aime
Mon amour
Je viens te l'offrir
Ce soir
Comme à la source on vient offrir
La soif
Liens :
Tombe de Monique Morelli. Cimetière Montmartre.
Chaque fois que je vais au cimetière de Montmartre me promener dans ce beau jardin parisien, je me retrouve par des chemins divers et inattendus devant la tombe de celle qui fut ma voisine de la rue Paul Albert, Monique Morelli.
9ème division près du chemin Saint Nicolas, c'est là que le 27 avril 1993, elle fut couchée habillée de sa tenue de scène blanche et de son écharpe rouge.
Sa tombe est proche de celle d'un homme qu'elle admirait et dont elle collectionnait les dessins qu'elle découpait dans les revues, Poulbot, le dessinateur des gosses de Montmartre, gouailleurs et insolents, tendres et sales...
...les gosses qui rappelaient à Morelli la fillette indisciplinée qu'elle avait été et qui avait été renvoyée de toutes les écoles...
Le cactus-doigt d'honneur de Siné
J'imagine qu'elle aimerait être renvoyée du cimetière en prenant à son compte les mots que Siné a fait écrire en lettres d'or sur la pierre qui recouvrira un jour ses cendres : "Mourir? Plutôt crever!"
Mais on n'enterre pas une voix dans une urne sous le marbre triste et banal d'une tombe... sous l'épais livre de pierre qui porte, gravée en lettres qui peu à peu s'encrassent une phrase de Louis Aragon :
" Il y a chez Monique Morelli ce moment quand elle chante qui fait que j'apprends soudain ce que je cherchais d'une main hésitante dans la nuit."
Que cherchait Aragon dans la nuit? Qu'a touché soudain sa main hésitante?
Est-ce l'écharpe rouge que Morelli jetait sur son épaule? Est-ce la flamme verte de son regard?
C'est Cocteau qui une fois de plus répond à la question, parlant d'Aragon et de son interprète :
"Monique Morelli nous étonne et nous éclaire certaines ombres secrètes du grand poète"
Quand une voix nous touche à ce point c'est qu'elle porte au plus secret de nous-mêmes, au plus obscur, que nous soyons poètes ou non, une lumière ronde et chaude comme un moineau qui s'envole avec les paroles des chansons et nous entraîne au loin, là-bas, vers la sortie d'un tunnel qui s'élargit comme un soleil.
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Liens Morelli :
Monique Morelli n'a pas quitté Montmartre
La rue Paul Albert et Monique Morelli
Cimetière Montmartre:
Poulbot. Engagement social. Petits Poulbots. (3)
Poulbot. Panneaux de céramique. 43 bis rue Damrémont. Montmartre.
Rues de Montmartre. Classement alphabétique.
Liste et liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.
Cimetière Montmartre. Classement alphabétique. Calvaire et Saint-Vincent.
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Poème pour un chat. 20 ans.
Je t'ai ramassée
Dans un terrain vague
Un jour de boue et de tristesse
Tu n'avais ni collier ni bague
Tu ne portais que ta détresse
Sais-tu que vingt ans ont passé
Depuis que nous vivons ensemble
Vingt ans que tu as rêvassé
Dans la maison qui te ressemble
Parfois tu oublies où tu es
Tu cries de frayeur dans la nuit
Je viens te prendre au fond du puits
Je dis ton nom pour te bercer
Le temps te rend douce et légère
Malgré ma main posée sur toi
Un jour un ange un courant d'air
Te cueillera entre mes bras
Si la mort est un terrain vague
Au milieu de n'importe quoi
Si l'amour n'est pas une blague
J'irai te rechercher crois-moi
Liste de tous mes poèmes pour le chat
Liens: Chats. Poèmes, Art, photos....
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Suzanne Gabriello. Cimetière Saint-Vincent. Brel. Ne me quitte pas!
La tombe de la famille Gabriello est répertoriée (division 3) parmi celles des célébrités du petit cimetière Saint-Vincent.
Il y a fort à parier pourtant que la plupart des touristes étrangers qui visitent l'endroit et photographient le marbre rose d'Utrillo l'ignorent.
André Gabriello (1896-1975) de son vrai nom Galopet est un chansonnier et un acteur spécialisé dans les seconds rôles "de poids". Il apparaît dans bon nombre de navets du cinéma français mais aussi dans "l'Assassin habite au 21" tourné à Montmartre par Clouzot où il joue le rôle du commissaire Pussot.
Sa fille Suzanne (1932-1992) est enterrée dans la même tombe.
Artistiquement, elle suivit les traces de son père et se spécialisa dans la chanson parodique. Elle tourna dans quelques films, des rôles secondaires, notamment dans "Du mouron pour les petits oiseaux" de Carné (enterré dans le même cimetière) où elle incarne une concierge parigote.
Bref, ce n'est pas sa carrière, ni sa présence dans le trio des "Filles à papa" avec Françoise Dorin et Perrette Souplex, ni sa participation aux jeux de 20 heures qui lui assurent de nos jours une petite renommée. C'est une histoire d'amour.
Les histoires d'amour finissent mal en général.
Parfois elles finissent par une chanson.
C'est le cas de l'histoire qui unit pendant quelques années celle qui était présentatrice à l'Olympia et celui qui allait connaître un succès foudroyant sur la même scène en 1958, Jacques Brel.
Suzanne parlera d'un "coup de foudre", Brel sera beaucoup plus réservé.
Ce qui est vrai c'est que les amants partent ensemble en tournée (Suzanne dans le trio des Filles à papa).
Ils ont pour leurs week-ends amoureux un nid d'amour rêvé, avec vue sur cette mer que Brel a chantée et sur ces ciels immenses qui ressemblent à ceux du plat pays.
La famille Gabriello possède une villa sur la falaise, face aux marées, à Equihen près de Boulogne sur mer.
Suzanne et Jacques s'y retrouvent loin des journalistes et de l'agitation du show biz.
La villa balnéaire s'appelle Fa-Zou du nom des filles d'André Gabriello, Françoise et Suzanne (surnommée Zizou bien avant Zidane!)
Suzanne aurait désiré que son amant lui consacrât plus de temps. Peut-être a t-elle demandé à Brel de quitter sa femme.
Elle ne savait pas que Miche, l'épouse aimante, était le véritable grand amour de Brel.
Miche connaissait son homme et ses infidélités.
Elle l'aimait au-delà des blessures et des humiliations. Elle restera 28 ans avec lui.
Brel parle d'elle comme de "l'amie et l'amante de sa vie".
Sont-ce les exigences de sa maîtresse ou la lassitude, toujours est-il que Brel quitta Suzanne pour partir vers d'autres conquêtes...
Mais, c'est du moins ce que la légende et Suzanne affirment, il écrit pour elle, en guise d'adieu une de ses plus belles chansons : Ne me Quitte pas!
Il fait preuve dans ses paroles d'une mauvaise foi très brellienne en se mettant dans la peau de celui qui est plaqué!
Il est vrai que ce qu'il trouva de mieux pour se déculpabiliser de laisser tomber sans ménagement ses amoureuses et d'être infidèle à Miche, fut de déconsidérer l'amour comme une vaste blague et les femmes comme des ennemies des hommes et de leurs rêves... Plus misogyne que Brel tu meurs!
Toujours est-il que la chanson connaît un succès international. Elle est interprétée par Sinatra, Ray Charles, Nina simone, Shirley Bassey, Cyndi Lauper, Barbra Streisand, Madonna, David bowie, Sting....
S'ils avaient connu le nom de son inspiratrice, les touristes étrangers de passage auraient sans doute fait un détour de quelques mètres pour aller d'Utrillo à Gabriello!
En février 2015 la maison des amoureux a été démolie.
Construite au bord de la falaise, elle menaçait de s'écrouler.
Image du temps qui passe avec ses gros souliers et ses pelleteuses.
Il ne reste de l'histoire d'amour de Brel et Gabriello qu'une chanson belle et désespérée.
Elle résonne dans ce cimetière comme une prière que l'on sait inutile.
Les amours épuisées n'ont aucune chance de revivre,
De même, les êtres aimés que la mort nous ravit n'ont aucune chance de revenir, deviendrait-on pour les attendrir l'ombre de leur ombre, l'ombre de leur main, l'ombre de leur chien...
Ne me quitte pas
Il faut oublier
tout peut s'oublier
Qui s'enfuit déjà,
Publier le temps
Des malentendus
et le temps perdu
A savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le coeur du bonheur
Ne me quitte pas...
.
Moi je t'offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu'après ma mort
Pour couvrir ton corps
D'ombre et de lumlière
Je ferai un domaine
Où l'amour sera roi
Où l'amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas...
.
Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai de ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs coeurs s'embraser
Je te raconterai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontgrer
Ne me quitte pas....
.
On a vu souvent
Rejaillir le feu
De l'ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril,
Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas...
.
Ne me quitte pas
Je ne vais plus pleurer
Je ne vais plus parler
Je me cacherai là
A te regarder
Danser et sourire
Et à t'écouter
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L'ombre de ton ombre
L'ombre de ta main
L'ombre de ton chien
Ne me quitte pas...
Oeuf de Pâques. Poème pour un enfant.
L'oeuf de Pâques
Un bel oeuf en chocolat
Plus gros que mon koala
Est arrivé ce matin
Au milieu de mon jardin.
Qu'y a t-il à l'intérieur?
Une étoile et un martien?
Une poule et ses poussins?
Un petit lapin rieur?
Un canard des canetons?
Un chat avec ses chatons?
Un coeur avec des bonbons?
Un coquillage un poisson?
J'ai pris l'oeuf en chocolat
Et je l'ai cassé en deux,
A l'intérieur oh là là !
Y avait rien! Il était creux!
.
Le Château des Brouillards. Montmartre.
C'est un des lieux les plus romantiques de la Butte.
Son nom fait rêver.
On imagine, émergeant de la brume un palais de contes de fées, avec quelques sorcières rôdant aux alentours.
La réalité est plus prosaïque et pourtant...
A l'origine, c'est à dire au début du XVIIème siècle, il y avait sur ce versant de la Butte un terrain vague où se délabrait une vieille ferme abandonnée et un moulin qui battait de l'aile!
Il s'était appelé "moulin des brouillards" avant d'être baptisé "moulin du vin".
Nous sommes à l'époque des "folies", ces résidences campagnardes que les nobles ou les bourgeois enrichis se font construire à proximité des villes.
Un avocat au Parlement de Paris, un certain Legrand Ducampjean, tombe amoureux de l'endroit. Il achète le terrain de 7000 m2, rase les ruines de la ferme et du moulin pour faire construire sa "folie".
Bien que relativement modeste elle est vite appelée "château" par les villageois.
En contrebas se trouve la Fontaine du But.
Cette fontaine, à l'origine Fontaine "du buc" est située dans le tournant de la rue de l'Abreuvoir et de la rue Girardon, au pied de l'escalier qui aujourd'hui permet de rejoindre la place Constantin pecqueur (jadis place de la Fontaine du but).
C'est là que les meuniers de la Butte amenaient leurs ânes, c'est encore là que les éleveurs venaient laver leurs boeufs avant de les conduire à l'abattoir.
De la fontaine s'élevaient des vapeurs qui certains jours d'hiver formaient un rideau de brume. Il n'en fallait pas plus pour que la rue fût appelée rue des Brouillards de même que le "château" construit à proximité.
Certains adorateurs de la dive bouteille prétendent que le nom de "brouillards" daterait du moulin du vin où le soir de joyeuses compagnies vidaient force tonneaux et se retrouvaient dans un état comateux dû à la boisson sacrée!
L'avocat fait édifier un bâtiment central et deux pavillons au milieu de ses terres et de ses vignes qui descendaient au-delà de la rue Caulaincourt actuelle.
Notre homme est bien placé pour sentir tourner le vent!
Il liquide ses biens avant que n'éclate la Révolution, place son argent en pièces d'or et attend à l'écart que s'éloigne la tourmente.
On ignore alors ce que devient sa "folie".
On ne retrouve des traces de son histoire qu'en 1818. Le domaine est alors divisé en deux parties et vendu à deux acquéreurs.
C'est vers 1828 que Nerval serait venu y résider.
En bon Montmartrois dont la bonne foi est égale à celle des Marseillais, j'estime que c'est une certitude!
Nerval y a vécu pendant presque 10 ans et c'est en ce lieu champêtre qu'il a écrit son Voyage en Orient, parole de Montmartrois!
Il a tellement aimé l'endroit qu'il l'a évoqué dans Promenades et Souvenirs :
..."Ce qui me séduisait avant tout, dans ce petit espace abrité par les grands arbres du château des Brouillards, c'était le reste du vignoble lié au souvenir de Saint-Denis qui, au point de vue philosophique, était peut-être le second Bacchus..."
C'est un éclairage intéressant sur saint Denis dont le nom, comme chacun sait, vient du grec Dionysos, c'est à dire le dieu du vin, le Bacchus des Latins.
Qu'il ait perdu la tête au milieu des vignes apporte de l'eau (!) au moulin de ceux qui affirment que les "brouillards" sont ceux de l'ivresse!
En 1848, pendant la révolution, le Club Républicain de Montmartre siège dans le "château" sous la direction de Léon Chautard.
En 1850 le parc est en partie sacrifié, les bâtiments annexes sont détruits pour laisser place à une série de modestes pavillons, là où s'élèvent aujourd'hui les immeubles très recherchés de l'Allée des Brouillards.
Les pavillons de bois sont proches du Maquis fait de cabanes et de constructions hétéroclites qui couvrait toute l'avenue Junot actuelle.
Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient été parfois occupés par des artistes sans le sou. Steinlen, l'homme au grand coeur, passionné de justice et de chats y aurait vécu avant de s'établir plus bas, dans son Cat's Cottage ouvert aux miséreux et aux matous faméliques.
En 1889 Renoir débarque avec sa petite famille dans le pavillons 6.
L'entrée se fait par la grille du Château au 13 rue Girardon.
Son fils Jean y voit le jour et c'est là qu'il passe les trois premières années de sa vie.
Il garde le souvenir du jardin sauvage, des chèves qui y venaient brouter. Le panthéisme qui inspirera certains de ses plus beaux films doit sans doute quelque chose à la Butte encore sauvage où vivaient artistes et marginaux.
Parmi eux le pittoresque Bibi la Purée qui s'invite parfois dans la cuisine d'Aline Renoir.
jean parlera plus tard d'un couple moderne de deux gentils garçons, toujours tirés à 4 épingles et qui avaient entouré leur pavillon de clochettes et de sonnailles qui les avertissaent de l'approche d'un visiteur, fût-il un petit garçon qui savait à peine marcher!
Un beau matin la police débarqua et malgré le tintement des cloches investit le pavillon. Les deux oiseaux n'étaient plus dans le nid! Ils avaient pris la poudre d'escampette et l'on ne retrouva au logis que du matériel d'imprimerie et des liasses de faux billets!
Dorgelès se souviendra de cette histoire dans son roman "Le Château des Brouillards"!
La femme de Renoir fait venir de sa province pour la naissance de son deuxième fils, Gabrielle qui servira de nourrice au petit Jean et de modèle maintes fois brossé au grand Auguste!
Parmi les voisins de Renoir figure Paul Alexis, écrivain naturaliste surnommé "l'ombre de Zola" qui participe aux Soirées de Médan et qui comme son maître défend avec véhémence Dreyfus. Sa fille Paule est parfois présente dans les toiles de Renoir.
Les pavillons ont abrité d'autres hôtes qui deviendront illustres. Léon Bloy y résida de 1904 à 1905 pavillon 3)
De retour de ses années danoises il s'était installé à Lagny ("Cochons sur Marne") qu'il fuit en 1904 pour vivre à Montmartre où il rencontre Rouault le peintre qui lui ressemble le plus.
Cocteau y fit un bref passage et puis... Montmartre devint à la mode et le maquis fut détruit.
Le château trembla plusieurs fois sur ses fondations car de nombreux projets le rayaient de la carte pour laisser place à des immeubles cossus.
Il importe de rendre hommage à Victot perrot, notaire, historien et président du Vieux Montmartre qui 'acheta, le restaura et, une fois ruiné, en vendit une partie.
L'allée des Brouillards se transforma en ruelle, les pavillons légers disparurent, remplacés par de petits immeubles pour artistes et bourgeois désireux de se donner une image de bohême (de luxe).
Citons par exemple Jean-Pierre Aumont. Une plaque commémorative rappelle au passant qui risquerait de l'oublier que le comédien y vécut (n° 4) de 1980 à 2000.
La suite n'a que peu d'intérêt... mais beaucoup d'intérêts...
En 2002 le château est racheté par un nabab belge enrichi par les jeans de luxe.
En 2012 il le revend à un prix astronomique près une restauration luxueuse qui n'a pas toujours respecté le charme du vieux bâtiment.
Mais où sont les brouillards d'antan?
Jehan-Rictus à Montmartre.
Poète à part, virtuose de l'argot et du parler populaire, Jehan-Rictus ne pouvait trouver refuge que dans le Montmartre des artistes fauchés et des anars.
Gabriel Randon (véritable nom de Jehan-Rictus) est né en 1867 à Boulogne sur mer.
On ne peut pas dire qu'il ait eu une enfance heureuse, non reconnu par ses parents, élevé par une mère névrosée qui rêvant d'une gloire théâtrale s'installe avec son fils âgé de huit ans à Paris.
Il racontera son enfance de garçon mal aimé dans son roman Fil de Fer publié en 1906 qui n'est pas sans évoquer Poil de Carotte.
A 14 ans, il cesse d'aller à l'école. Il est employé dans des maisons de commerce comme apprenti jusqu'à l'âge de 16 ans où il se sépare de sa mère.
Très vite il est attiré par Montmartre où il survit grâce à de petits boulots qui lui assurent à peine de quoi se payer nourriture et abri. En 1889 il vit dans la rue avec les clochards et les laissés pour compte qui trouvent refuge dans le maquis. Il n'oubliera jamais cette période de sa vie où il fait l'apprentissage de la misère.
C'est là qu'il rencontre pour la première fois Steinlen dont le Cat's Cottage est en bordure du maquis. Steinlen deviendra un ami fidèle et c'est lui qui illustrera son plus célèbre recueil : Les Soliloques du Pauvre.
Il représentera page apès page le poète comme un errant, un passant tragique à la silhouette de Juif errant. Ses dessins sont au plus près de l'os, images charbonneuses d'un artiste mangé par la misère et la nuit, image un tant soit peu fantasmée du clochard idéal!
Gabriel Randon qui n'a pas encore choisi de s'appeler Jehan-Rictus se sent poète. Il admire alors Heredia qui l'aide à trouver un emploi dans une banque!
A la même époque il se lie d'amitié avec un poète symboliste, Albert Samain.
On a du mal à reconnaître l'écorché vif dans les vers qu'il écrit, inspirés des Parnassiens ou des Symbolistes....
(...)
Vous me refusez. Adieu! tout s'écroule.
Je sais une mer, là-bas, dont la houle
Fermera sur moi son linceul flottant.
Si vous demeurez dédaigneuse, altière,
Je sais une croix dans un cimetière
Où j'irai clouer mon coeur palpitant."
Gabriel Randon. (sonnet à Léonie Godart. 1887)
En 1892, le poète qui ne donne pas satisfaction à la banque et à qui elle n'en donne pas plus, va exercer sa plume dans le journalisme. Sans grand succès.
Il se sent poète avant tout et commence à fréquenter les cabarets où il lit ses textes.
Il débute 62 bd de Clichy au cabaret des Quat'z'Arts. C'est à cette occasion qu'il choisit le nom sous lequel il sera connu et qu'il tient à écrire avec un trait d'union. C'est aussi l'époque où il quitte le formalisme des vers classiques pour s'exprimer dans un langage populaire mâtiné de patois picard et d'argot parisien.
Il rencontre le succès grâce à un de ses textes les plus forts : le Revenant.
Il est invité dans des fêtes syndicales pour le déclamer devant un public ému.
Il fréquente le Lapin Agile où il a l'occasion de connaître Max Jacob et Apollinaire.
Le long poème donne la parole à un clochard qui voit surgir face à lui, un soir de brume, le Christ, aussi décharné et aussi désespéré que lui.
Il compatit au sort terrestre misérable de l'homme divin et lui présente la société moderne plus dure encore et plus injuste que celle pendant laquelle il a vécu avant de subir sa passion :
.
"-Ah! Comm' t'es pâle...ah! comm' t'es blanc.
Sais-tu qu't'as l'air d'un Revenant,
Ou d'un clair de lune en tournée?
T'es maigre et t'es dégingandé,
Tu d'vais êt' comm' ça en Judée
Au temps où tu t' proclamais Roi!
A présent t'es comm' en farine.
Tu dois t'en aller d' la poitrine
Ou ben... c'est ell' qui s'en va d' toi!
Après avoir soliloqué longuement, après avoir accusé le Christ d'être un défaitiste qui tend la joue gauche alors qu'il faudrait se révolter, après l'avoir vu pleurer...le clochard se rend compte que c'est à son propre reflet dans le miroir d'une devanture qu'il a parlé en croyant s'adresser au fils de Dieu!
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-Et Jésus-Christ s'en est allé
Sans un mot qui pût m'consoler,
Avec eun' gueul si retournée
Et des mirett's si désolées
Que j' m'en souviendrai tout' ma vie.
Et à c' moment-là, le jour vint
Et j' m'aperçus que l'Homm' Divin...
C'était moi, que j' m'étais collé
D'vant l' miroitant d'un marchand d' vins!
On perd son temps à s'engueuler...
.
Le poème fera partie du recueil qui paraîtra en 1897 et qui assurera jusqu'à nos jours la renommée de Jehan-Rictus : "Les Soliloques du Pauvre".
Heureuse époque où un recueil de poèmes pouvait rencontrer le succès, être épuisé en quelques jours et nécessiter une réédition (au Mercure de France) !
Pendant ces années d'intense activité entre écriture et cabaret, Jehan-Rictus habite au coeur de Montmartre, rue Lepic.
D'abord au 64 où il loue un modeste appartement, ensuite au 50 dans un immeuble proche de celui où vécut Théo Van Gogh et où Vincent séjourna.
Pendant ces années fécondes, il fréquente la Maison du Trappeur qui allait devenir le Bateau Lavoir. Il y rencontre des poètes et des peintres anarchistes.
L'esprit de la Commune est encore présent sur la Butte !
Un public chaleureux l'accueille à la Roulotte, cabaret proche de la place de Clichy (42 rue de Douai) où se produit un autre poète du Pas de Calais, Marcel Legay, l'auteur de la chanson "Ecoute ô mon coeur" qui met la larme à l'oeil de tous les Artésiens!
Parmi les lieux où il interprète ses poèmes, citons encore au 25 rue Lepic le Cabaret de la Vache Enragée.
Jusqu'en 1914 il publie divers recueils (Doléances, les Cantilènes du malheur) des plaquettes (la Frousse, les petites Baraques) un roman (Fil de fer).
Après cette date, bien qu'il lui reste une vingtaine d'années à vivre, il ne produit quasiment plus rien, comme si l'embourgeoisement de la vie rangée l'avait privé d'un talent qu'irriguaient la révolte et la misère.
L'anarchiste, le rebelle vit correctement de ses droits d'auteur et d'aides publiques. Il a abandonné tout espoir et même tout désir de révolution.
Pire, il se rapproche par certaines idées de l'Action Française!
Le pacifiste a abandonné ses rêves de fraternité et la guerre le contraint à renoncer à ses illusions d'entente entre les peuples.
..
"(...) Gn'y en a qui dis'nt que l' Monde un jour,
Y s'ra comme un grand squar' d'amour,
Et qu' les Homm's qui vivront dedans
S'ront d' grands Fan-fans, des p'tits Fan-fans,
Des gros, des beaux, des noirs, des blancs.
(La Farandole des pauv's tits fan-fans)
Il vit dans un immeuble cossu, 8 rue Camille Tahan. Il ne ressemble plus au Juif errant, au fantôme émacié qu'avait dessiné Steinlen.
Comme si après l'épuisement de son talent et de sa révolte, il n'attendait plus que la mort physique, il a choisi d'habiter contre le cimetière de Montmartre. Le mur pignon de son immeuble donne sur la ville des morts.
Il meurt en 1933.
Il est âgé de 66 ans.
Il ne saute pas par la fenêtre pour rejoindre le cimetière Montmartre.
Il est transporté dans sa boîte en sapin à Bagneux où il est enterré dans la 25ème section.
Sur sa pierre tombale sont gravés ses derniers vers :
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.
"Voui, dormir... n'pus jamais rouvrir
Mes falots sanglants su' la Vie,
Et dès lors ne pus rien savoir
Des espoirs et des désespoirs.
Qu' ça soye le soir ou bien l' matin,
Qu'y fass' moins noir dans mon destin,
Dormir longtemps... dormir...dormir !
Jehan-Rictus reste vivant aujourd'hui pour tous ceux qui ont lu ses poèmes.
Sa légende est plus coriace que sa biographie.
Il est à jamais l'homme des Soliloques, le poète de de la compassion et de la révolte.
Sa long fantôme noir et voûté ne cesse de hanter les rues de la Butte....
Peut-être se plante t-il devant la vitrine d'une boutique de luxe des Abbesses pour apostropher le Christ :
"Avoue-le, va... t'es impuisssant,
Tu clos tes châss's, t'as pas d' scrupules,
Tu protèg's avec l' même sang-froid
L'sommeil des bons et des Crapules
Et quand on perd quéqu'un qu'on aime,
Tu décor's, mais tu consol's pas.
.
Ou bien, devant les couples qui s'embrassent dans le square qui porte son nom et où a été construit le Mur des "Je t'aime" se laisse t-il émouvoir... un instant...
Des Enlacés pass'nt deux par deux
(Comm' la Mort toujours près d' la Vie)
Y m' frôl'nt, y vont - je m'fais des ch'veux
Car moi j' suis seul et ça m'ennuie.
Mais l' ciel s' met eun' si bell' liquette,
L'ensemble il a l'air si joyeux,
Y fait si doux, y fait si chouette,
Qu' ça s'rait p'têt' vrai qu'y a un Bon Guieu!"
(Le Printemps. Les soliloques)