Visage de pierre vérolé par le temps...
Visage inquiet tourné vers le ciel...
Etonnement...
Les yeux ouverts...
les yeux aveugles...
Monument étrange, colonne aux trois côtés concaves protégés par un cercle de fer...
Chaque pointe du monument est une étrave avec pour figure de proue ce visage interrogateur dont les lèvres s'ouvrent sur un étonnement...
On pense à Baudelaire :
"Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! Levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, Ô Mort! Apareillons! "
Mais cet inconnu auquel aspire le voyageur n'a rien de réjouissant!
On devine à son masque de tragédie qu'il découvre un irrémédiable sans lumière...
Dans la nuit le hibou, l'oiseau qui voit dans les ténèbres, pose ses serres sur le sablier renversé.
Pour les libres penseurs il personnifiait la connaissance opposée à l'obscurantisme religieux...
La Mort que l'on peut regarder en face, sans le filtre des légendes et des mythes judéo-chrétiens...
Peut-être l'homme pour qui fut érigé le monument, Jean-Jacques Bérard (1751-1817) a t-il demandé qu'il fût présent sur les trois faces de son monument.
A la base de la colonne, la tête de mort et les tibias croisés rappellent à ceux qui seraient tentés de l'oublier que tout n'est que vanité...
... et c'est un homme rompu dans le commerce et le négoce qui repose sous cette pierre!
Jean-Jacques Bérard (1751-1817) a fait graver sur une face son titre d'Administrateur de la Nouvelle Colonie des Indes, Compagnie créée par Louis XVI après des scandales financiers retentissants et qui ne dura que quelques années puisqu'en 1793, c'est la Convention qui la supprima... après de nouveaux scandales financiers... qui coûtèrent la tête à quelques révolutionnaires !
Notre Bérard avait quitté le poste avant qu'il ne menaçât sa tranquillité. Il garda la tête sur les épaules pendant la Terreur. Et l'on devine à la position de sa main qu'il n'eut rien à craindre de Napoléon!
On trouve trace de son activité à Lorient où il investissait dans le commerce avec l'Asie. Il réexportait vers Ostende les toiles de coton et faisait alors partie de ceux qu'on appellait "les Indienneurs".
Malgré les troubles révolutionnaires, il arma un navire "l'Adélaïde" pour faire le commerce du riz qu'il expédiait en Amérique...
Sa femme Marie-Pauline Gandini repose à ses côtés.
La tombe, une des plus belles du cimetière ne fait pas partie du circuit touristique...
La Mort, la grande Oublieuse a bien fait son boulot!
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(Le monument bérard se trouve 22ème division dans une des allées les plus intéressantes du cimetière Montmartre)
Liens :
Cimetière Montmartre. Classement alphabétique. Calvaire et Saint-Vincent.
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