" La mère Catherine" est une légende et une réalité.
Le restaurant existe bel et bien depuis 1793 (une année de sinistre mémoire!) mais autour de lui sont venues se greffer des histoires à la montmartroise, faites d'exagération ou d'invention pure et simple.
Montmartre et Marseille auraient-ils des points communs?
Revenons aux origines et au n°6 de la Place du Tertre (en réalité rue Norvins qui forme le côté nord de la place).
Avant la Révolution, c'était la rue Trainée, parfois appelé Trenette, allusion à la façon dont on chassait le loup qui au début du XIXème siècle s'aventurait encore sur la Butte.
On traînait sur le sol une charogne que l'on déposait dans un piège. Maître loup par l'odeur alléché suivait la piste et se faisait prendre. La méthode a été abandonnée trop tôt. Elle aurait été fort utile pour piéger les promoteurs qui firent main basse sur Montmartre. Il aurait suffi de traîner sur le sol une bonne liasse de billets de banque.
En 1868 la rue reçut le nom de l'illustrissime jacques Maillet de Montbreton de Norvins (1768-1854) connu pour avoir écrit une Histoire de Napoléon 1er. C'était une manière comme une autre de rappeler au Napoléon n°2, surnommé par Hugo "le petit", qu'il n'arrivait pas à la cheville du 1er!
Les maisons où le restaurant s'est installé sont de vieilles demeures villageoises. Au XIVème siècle à l'époque où Montmartre était loin de Paris, il y avait à l'emplacement du n°6 un presbytère où vivait le curé de l'église voisine qui était placée sous la double protection de Saint-Pierre (partie abbatiale) et Saint-Denis (partie paroissiale).
La Révolution passant par là guillotina quelques abbesses, prit possession des bâtiments dont le presbytère qu'il vendit au plus offrant.
C'est ici qu'apparaît la fameuse mère Catherine. Nous sommes en 1793. Catherine Lamotte qui est alors trop jeune pour mériter le nom qui la rendra célèbre acquiert la maison vendue comme bien national. Elle la transforme en café puis en restaurant.
Elle a le temps de voir s'attabler un client célèbre devant lequel on se tient à carreaux. C'est Danton en personne qui rend visite à son ami Félix Desportes qui habite toujours Montmartre après en avoir été le 1er maire de 1790 à 1792 (en réalité il a succédé à Valeteau révoqué après trois jours!)
Ces amicales visites et ces moments passés chez la mère Catherine faillirent coûter la tête à Desportes lorsque Danton fut condamné pour traîtrise!
En 1814 après la défaite de Napoléon pendant la Bataille de Paris, les Alliés entrent dans la capitale et parmi eux les Cosaques grands amateurs de boissons fortes! Ils occupent la Butte et par la même occasion fréquentent le café de la mère Catherine. Une plaque apposée sur la façade du restaurant proclame haut et fort que c'est là que pressés d'être servis et resservis ils auraient crié de leur belle voix de basse : "Bistro" ce qui dans leur langage signifie "vite".
Le premier bistro de France serait donc né chez la mère Catherine!
Acceptons la légende même si l'apparition attestée du mot date de 1884! Même si les linguistes se disputent pour savoir si le mot vient du provençal "bistroquet" ou du poitevin "bistraud"...
Pour nous Montmartrois qui ne sommes pas à une légende près, le bistro est né chez nous et peu importe la triviale réalité!
Catherine Lamotte, bonne vivante qui aime plaisanter avec ses clients devient vite un personnage haut en couleurs (avant les peintres!) de la Butte. Elle n'hésite pas à boire (modérément) avec les habitués et elle devient naturellement "la mère" des amateurs de piquette.
En 1844, elle a alors 76 ans, elle meurt au combat sans abandonner ses troupes. En effet, alors que l'on est occupé à boire dans les salles du restaurant, elle transporte à la cave une pièce de vin qui la déséquilibre et lui passe sur le corps.
Vérité ou légende? C'est en tout cas ce que l'on dit à Montmartre depuis que la mère Catherine l'a quitté.
Le café-restaurant continua sa carrière malgré le rattachement de Montmartre à Paris (à moins que ce ne fût le contraire) et la perte de l'avantage de la détaxation.
Parmi les successeurs de Catherine Lamotte, on a retenu le nom de "Gros Guillaume". Il s'appelait Guillaume, il était gros et il était auréolé du prestige d'avoir été Garde National en 1870 (ne pas confondre avec Robert Guérin dit "Gros Guillaume", un des plus populaires acteurs français du XVIIème siècle).
Que les amis des animaux lui pardonnent d'avoir, pendant la disette qui suivit la Commune, fait disparaître de Montmartre tous les chiens, tous les chats, tous les rats et souris. Il paraît que sa gibelotte était fameuse et attirait les bourgeois des beaux quartiers!
Au début du XXème siècle le restaurant change de propriétaire. C'est Lemoine (un nom qui sied à un ancien presbytère) qui en prend la direction et gère le bureau de tabac attenant.
Il est connu pour avoir été le 2ème maire de la Commune libre de Montmartre fondée en 1920 par Dépaquit.
Il est aussi connu pour avoir installé dans son bistro un billard en bois, jeu qui était alors très populaire et qui servait d'annonce à la bonne Franquette rue Saint-Rustique.
Guillaume est surnommé le Père la Bille. Il est populaire sur la Butte où il assiste à toutes les festivités. Son surnom lui serait venu de son goût pour le fameux billard...
Hélas le billard ne suffit pas à faire marcher les affaires qui périclitent et à vendre une partie du restaurant, la grande salle, qui devient une boulangerie.
Pendant la guerre, Montmartre est apprécié des Allemands et des collabos. Ils apprécient cabarets et bistros sans oublier celui de la Mère Catherine!
L'établissement changera ensuite de patron. Albert Mériguet et Thérèse jusqu'en 1950 puis Jacques Mériguet jusqu'en 1960... Mais la grande époque est terminée pour Montmartre.
Ni Leprin ni Gen Paul ne sont là pour accrocher leurs toiles dans le bistro de la Mère Catherine, ni Utrillo pour le peindre, ni Léon Bloy pour s'y installer et y écrire.
Le restaurant accueille les touristes à l'heure où sur la place les barbouilleurs barbouillent. La cuisine y est moyenne et sans inventivité, l'accueil y est parfois revêche (les avis sont partagés et ma malheureuse expérience est peut-être accidentelle!)
Son principal atout reste le décor et l'emplacement...
Un Starbuck a ouvert ses portes à quelques mètres...
Souhaitons qu'aucun Père Macdo ne prenne un jour la place de la Mère Catherine!
....Un jour qui sait la Mère Catherine remontera de sa cave, se remettra aux fourneaux et offrira une tournée à tous les amoureux de Montmartre!
En l'attendant.... voici quelques toiles représentant le célèbre restaurant...