..Pour toujours réunis dans leur caveau du cimetière Montmartre (13ème division), les Goncourt restent dans la mort ce qu'ils furent dans la vie, des frères inséparables!
On les croirait jumeaux alors qu'Edmond (1822-1896) est de huit ans l'aîné.
Ils vivaient ensemble et étaient si proches que les observateurs en étaient intrigués et qualifiaient leur relation d'attachement amoureux.
Les frères étaient écrivains et se rattachaient au courant naturaliste. Ils rédigèrent plusieurs romans tombés aujourd'hui dans l'oubli. Le moins oublié est sans doute Germinie Lacerteux. Il fut écrit dans leur appartement commun de la rue Saint-Georges.
Ils y romancèrent la vie de Rose Malingre qui était au service de leur mère puis au leur et dont ils découvrirent après la mort, la vie secrète et tragique.
Leur renommée fut assurée cependant, de leur vivant, par le fameux journal dont Jules fut le principal auteur jusqu'à sa mort (1870) et dont Edmond poursuivit la rédaction.
Il est émaillé de conversations de salon (genre "potins de la commère") dont les lecteurs étaient friands. Il rapporte des anecdotes sur des écrivains comme Maupassant, Zola ou Alphonse Daudet...
Certaines sont si méchantes qu'elles provoquent des brouilles irrémédiables.
Quand Edmond en devint l'unique rédacteur, l'influence de Daudet et à travers lui de Drumont se fit sentir. Les "réflexions" antisémites se firent de plus en plus nombreuses et décomplexées.
On a débaptisé le plus célèbre square de Montmartre parce qu'il portait le nom de Willette, un antisémite notoire. On n'a pas débaptisé le prix Goncourt qui continue d'exciter tout le petit monde littéraire!
Un extrait tiré du journal, du 18 juin 1894 :
Edmond y parle de "la vérité du type juif" dans les dessins de Tissot qui reproduisent "exactement les grands nez courbes, les sourcils broussailleux, les regards précautionneux, soulevant de lourdes paupières, et les pensées calculatrices, et les jovialités mauvaises, et la perfide cautèle sous la bouffissure des graisses de la face"
On a tendance à oublier à quel point l'époque était marquée par l'antisémitisme et l'on frémit de voir la nôtre ressusciter les monstres.
Bien sûr Edmond était aussi un brave homme (comme le bon docteur Ferdinand Céline qui soignait les pauvres gens) et un bon frangin qui accompagna Jules jusqu'à la mort avec patience et dévouement.
Il décrivit la syphilis de son frère avec une précision de naturaliste. Il ne put par instant s'empêcher d'exprimer sa douleur : "Je suis triste de mon frère. Je ne peux plus tenir en place..."
Ce n'est qu'après sa mort que sera créée la célèbre Académie qui perpétue le nom des Goncourt selon les volontés testamentaires laissées par Edmond et dont Alphonse Daudet et Hennique furent les exécuteurs. Les oeuvres d'art de l'importante collection des écrivains fut vendue, l'argent placé pour créer cette Académie de dix membres chargés de récompenser chaque année un "ouvrage d'imagination en prose".
Aujourd'hui les prix se sont diversifiés et distinguent poésie, nouvelles, premiers romans...
Ils font partie du folklore français...
Ils sont à la vie littéraire hexagonale ce que les coiffes sont aux Bigoudens et les bêtises à la ville de Cambrai!
Les médaillons de bronze scellés sur la dalle mortuaire sont l'oeuvre d' Alfred-Charles Lenoir, un sculpteur qui reçut à la fin du XIXème de nombreuses commandes, ayant été deux fois "médaille d'or" aux Expositions Universelles de 1889 et 1900, ayant ainsi fait preuve d'un "académisme" de bon aloi!
Parmi ses oeuvres, on peut voir à Paris, entre autres, le buste de Berlioz à Orsay, le monument à César Franck dans le square Samuel-Rousseau ou encore l'allégorie de la France du Moyen-Âge sur le pont Alexandre III...
La tombe des Goncourt semble banale pour des écrivains qui aimaient se faire remarquer. Peut-être est-elle à l'image de l'Académie qui porte leur nom : sage et consensuelle.
Laissons-leur les derniers mots avec ces quelques citations sur la vie et la mort tirées de leur journal :
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-Qu'est-ce que la vie? L'usufruit d'une agrégation de molécules.
-La mort pour certains hommes n'est pas seulement la mort : elle est la fin du propriétaire.
-Combien d'hommes meurent dans un homme avant sa mort?
-Pour nous faire accepter la vie, Dieu a été forcé de nous en retirer la moitié. Sans le sommeil, qui est la mort temporaire du chagrin et de la souffrance, l'homme ne patienterait pas jusqu'à la mort.
-Les croque-morts appellent d'une terrible expression, une exhumation : un dépotage.
....Pas de souci pour les Goncourt. Nul ne songe à les "dépoter"!
N'est pas Zola qui veut pour être "dépoté" du cimetière Montmartre et "rempoté" au Panthéon!