Le maître de Giotto était Cimabue dont nous avons vu le crucifix sauvé des inondations dans l'église Santa Croce de Florence.
Ce chef d'oeuvre ne pouvait qu'influencer l'élève qui tout en vénérant son inspirateur prend ici son indépendance pour devenir à son tour source d'inspiration.
Après 12 années de restauration c'est en 2001 que le crucifix a repris sa place originelle, celle qu'il occupait au XIIIème siècle au centre de la travée principale de l'église.
Cette position entre le sol et les voûtes lui donne un aspect aérien et les bras en croix s'ouvrent comme pour un envol.
Le Christ est représenté fidèlement à la tradition de l'époque. Il est le Christ de souffrance dont l'agonie s'est achevée...
Son corps s'est affaissé sur lui-même. Les côtes sont saillantes, les plaies ouvertes dont le sang ultime s'écoule. Le ventre est proéminent sur le perizonium.
Le perizoniume c'est le "pagne de pureté" dont on vêt le Christ qu'on n'ose représenter nu comme l'étaient les suppliciés romains. La transparence du pagne peint par Giotto et l'inexistence de toute trace visible du sexe vont inspirer un temps les peintres jusqu'à ce qu'au XIVème siècle ne s'impose le vêtement de toile épaisse et décente!
La tête du Christ se penche sur son épaule. Les yeux clos n'interrogent pas le ciel, ils sont baissés vers la terre, vers les témoins du supplice, vers les croyants qui entrent dans l'église.
Les lèvres sèches qui ont crié leur soif sont maintenant figées.
La chevelure est comme teintée par la douleur. L'or de l'auréole semble éclairer son étrange rousseur.
A droite et à gauche, les "tabellone" représentent Marie et Jean.
Ils n'invitent pas du regard comme chez Cimabue les fidèles qui passent devant le crucifix. Ils ont les yeux tournés vers celui dont le martyre vient de s'achever.
Leur visage est le nôtre quand une douleur trop grande nous envahit et que l'on tente de retenir nos larmes, les muscles crispés jusqu'à la douleur.
Ils croisent les mains comme pour les tenir en place et les empêcher de se lever vers le cadavre pour le toucher encore, une dernière fois.
Le sang coule et se fige peu à peu sous les pieds du Christ. Il atteint les rochers du Golgotha où reposent le crâne et les os d'Adam le premier homme. Le nouvel Adam est venu s'offrir pour qu'à jamais la mort soit vaincue...
Le crucifié de Giotto est plus tragique que celui de Cimabue. Il marque une étape importante dans la représentation de l'Homme-Dieu.
A Byzance, les icônes le représentent comme Dieu avant tout, dans l'or et la splendeur du royaume. Avec Cimabue il est à la fois pleinement Homme et pleinement Dieu. C'est l'image la plus belle et la plus proche de celle que nous avons des êtres que nous aimons.
Avec Giotto le Christ sur la croix est homme. Il n'est pas encore le Christ lépreux dans lequel se reconnaitront et se réconforteront les malades. Il n'est pas encore le Christ de Grünewald, miroir de toutes les dégradations de la chair. Il y a dans son corps sans vie une douceur et un silence qui impressionnent. Alors que l'on avait l'impression qu'il s'envolait vers les voûtes, on comprend que ses bras s'étendent au-dessus de ceux qui le regardent, que son visage se baisse vers eux.
Peint avec foi, il s'adresse à ceux qui ont la foi et croient que la mort se penchera sur eux avec le même visage grave et fraternel pour les emmener de l'autre côté...